La police recule à Exarcheia : coup de bluff ou conséquence d’une communication ratée ?

Depuis hier, les flics se replient progressivement autour du quartier, parfois nettement plus loin qu’à l’habitude. Que se passe-t-il ?

LA POLICE RECULE À EXARCHEIA : COUP DE BLUFF OU CONSÉQUENCE D’UNE COMMUNICATION RATÉE ?

Les faits sont là, nous sommes nombreux à les constater : il y a moins de cars de MAT (CRS) et moins de postes de surveillance dans et sur le pourtour du quartier. Pourquoi ? C’est la question que beaucoup se posent aujourd’hui.

Hypothèse 1 : le calme avant la tempête. Selon certaines sources, un nouvel assaut serait prévu dans les prochaines heures, encore plus puissant que celui de lundi dernier. Auquel cas, le repli de la police serait tout simplement un coup de bluff du pouvoir pour faire baisser la vigilance et la mobilisation qui n’a cessé de monter ces derniers jours.

Hypothèse 2 : ce repli imprévu serait la conséquence de la colère de habitant.es qui se plaignent de plus en plus des exactions policières dans le quartier, des lacrymos incessantes, des interpellations répétitives au point de confondre les solidaires venus d’autres pays avec les touristes allant bouffer au resto du coin, des insultes et des brutalités sous leurs yeux près des postes de surveillance redoutés, des interruptions choquantes à plusieurs reprises des concerts gratuits et familiaux sur la place, des écussons fascistes sur les tenues de beaucoup de flics et sur celles des types en civil à leurs côtés, des agressions policières contre le centre social autogéré K*Vox durant lesquelles le lieu clos a été gazé au point de mettre en danger la vie des personnes bloquées à l’intérieur. Bref, c’est le raz le bol chez beaucoup et les discussions vont bon train, même chez des habitant.es d’Exarcheia qui ne fréquentent pas nos lieux et collectifs.

Dans tous les cas, on ne baisse pas la garde. Bien au contraire. D’autres actions se préparent et le pouvoir n’est pas au bout de ses surprises. Avec l’arrivée de septembre, Exarcheia se réveille de sa torpeur estivale et reprend force et vigueur. L’affaire n’est plus aussi simple pour les valets de Mitsotakis, le nouveau premier ministre dont la priorité électorale était « d’en finir avec Exarcheia avant la fin du premier mois ». Le chef du gouvernement est complètement ridiculisé deux mois après. Exarcheia est encore debout et ses soutiens se multiplient en Grèce et partout dans le monde (nouveau point sur les actions, photos et messages de soutien bientôt).

La bataille de la communication est donc, là encore, l’un des terrains majeurs de cette lutte pour la défense d’Exarcheia. Non, nous n’avons pas peur des ruines ni de ceux qui les causent. Nous avons plein de ressources, des idées en nombre, et une énergie inépuisable.

Au fil des jours, l’atmosphère change dans le quartier, tel un second printemps après l’été. Durant un court moment de pause, aux côtés de mes compagnons de lutte à la terrasse d’un bistrot qui fonctionne en coopérative autogérée, je suis heureux d’en témoigner ici pendant qu’ils boivent leur café. Mais, je vous l’avoue : il est difficile d’être au four et au moulin, en l’occurrence de résister au sein des collectifs dont je suis membre et de témoigner de tout ça en même temps. Le plus difficile n’est pas tant d’écrire, mais surtout de filmer. C’est bien sûr une force que de raconter tout ça de l’intérieur, mais c’est aussi parfois un vrai casse-tête. Le tournage a commencé début juillet à la demande des compagnons du quartier qui m’ont poussé, avec Maud, Mimi et beaucoup d’autres, a nous lancer sans attendre dans un quatrième film pour raconter nous-mêmes, tou.tes ensemble, ce qui nous arrive en ce moment. Mais durant le tournage des films précédents, nous étions beaucoup moins dans l’urgence, dans l’effort et dans l’inquiétude de voir anéanti brutalement notre quartier.

Cette fois, j’ai l’impression d’écrire et de filmer sur un petit bateau dans la tempête, avec le roulis et des vagues de dix mètres, entre deux opérations de sauvegarde du navire. Les menaces fascistes et policières n’arrangent rien. Les uns ont réussi à me tendre une embuscade en juin et les autres ne cessent de m’insulter et de me donner rendez-vous :
— Youlountas, tha ti fas ! (Youlountas tu vas manger !)
La faiblesse de nos moyens techniques et matériels me compliquent aussi la vie. Mon téléphone a enfin pu être réparé après deux semaines de black out complet. Le micro de la seule caméra qui nous reste a été cassé durant une charge policière avant-hier devant le K*Vox. Et l’un des ordis est mort, il y a quelques jours. Mais bon, on continue avec les moyens du bord, en attendant mieux.

La semaine passée l’a prouvé : plus que sur des barricades dans un rapport de force perdu d’avance face à l’armada du pouvoir, notre lutte la plus décisive se situe au niveau de l’imaginaire social, au niveau de ce que le pouvoir appelle vulgairement l’opinion publique. Nos claviers et surtout nos caméras(1) sont des armes, face aux mensonges du pouvoir. Ce pouvoir qui prétend rétablir l’ordre là où il sème le désordre, la violence et la misère qui est la première de toutes les violences. C’est pourquoi, j’essaie de me rappeler sans cesse que filmer n’est pas une perte de temps, mais fait partie de la lutte à certaines conditions, dont la première est ne pas laisser le pouvoir et ses valets raconter notre histoire à notre place. D’où notre refus réitéré des médias mainstream, mais aussi des inconnus qui ne connaissent pas du tout le terrain et qui ne font que passer avec leur appareil photo, parfois en shootant et en dévoilant publiquement des visages de militant.es et de migrant.es qui ne le souhaitent pas ou que cela peut mettre en danger. C’est pourquoi, avant de partager des photos glanées sur Internet montrant des personnes dans Exarcheia, vérifiez bien si la source est fiable et respectueuse de nos règles de sécurité.

Bon, c’est l’heure d’y retourner. Salut de nous tou.tes ici. Je vous laisse avec quelques images de la manif de samedi à Exarcheia, réalisés par nos compagnons de Perseus999(2) :

Courage dans vos luttes et encore un grand merci pour votre soutien. C’est aussi grâce à vous si les choses se compliquent pour le pouvoir et si Exarcheia sera peut-être sauvée.

Yannis Youlountas

(1) « Notre caméra » devrais-je dire, puisque nous n’en avons plus qu’une. C’est pourquoi nous faisons un appel pour récupérer des vieux appareils photos réflex (avec objectif détachable). Contact : maud@lamouretlarevolution.net
(2) Pour en savoir plus sur Perseus999 :

Ce soir sur Radio Libertaire : Mimi et moi interviendrons durant 30 minutes depuis Exarcheia dans l’émission « Chroniques d’ailleurs » (animée par la CNT) entre 20h30 à 22h30 (heure française). Fréquence 89,4 MHz (FM) ou sur Internet : ecoutez.radio-libertaire.org
Vendredi dans la nuit, nous participerons à un débat par skype après la projection de L’Amour et la Révolution à Rio de Janeiro, en soutien mutuel avec nos compagnons de lutte au Brésil.