Avril 2002-avril 2022 : vers un nouveau « soir de Pen » en pire ?

Durant mon récent séjour dans l’hexagone, j’ai entendu beaucoup d’inquiétude parmi vous au sujet des années à venir, au gré de confidences entre quatre yeux ou durant des réunions publiques.

AVRIL 2002-AVRIL 2022 : VERS UN NOUVEAU « SOIR DE PEN » EN PIRE ?

Nombreux sont ceux et celles qui craignent que la dérive toujours plus sécuritaire et totalitaire de la société, la surenchère des médias de caniveau et l’arrogance autocratique de Macron ne conduisent, dans un an, à l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen et de ses réseaux, dans un registre encore plus autoritaire.

Cet événement serait-il vraiment une surprise ? Bien sûr que non. À force d’accepter que des gens nous gouvernent et décident de nos vies à notre place, il ne faut pas s’étonner qu’un jour, ces individus ivres de pouvoir se livrent à plus de brimades, de décisions arbitraires et de violence contre les personnes qui osent leur résister et contre les boucs-émissaires qu’ils fabriquent.

Sans prendre nos vies en mains au moyen d’un changement radical du système politique et économique, nous serons tôt ou tard condamnés à revivre ce que nos ancêtres ont vécu à de nombreuses reprises sous diverses formes.

Libres à chacun de lutter à sa façon contre ce fléau, par-delà nos différences, et parfois de faire front commun, mais il y a des moments où il faut ouvrir les yeux et admettre l’échec de la méthode Coué. Réformes et gesticulations en tous genres n’ont rien donné ou si peu. 150 ans après la Commune de Paris, nous devrions nous rappeler que ce sont les soulèvements, les raz-le-bol communicatifs et les révolutions sociales qui provoquent les plus puissants changements de société — ou au moins sèment les graines de l’utopie qui n’est que la réalité de demain.

Ce n’est pas le moment de baisser les bras. C’est justement dans des instants pareils que tout s’éclaire malgré l’obscurité, que l’enjeu est décuplé, que l’urgence pousse à l’action. Qui peut dire à l’heure qu’il est ce qui va se passer dans l’année à venir ?

Il y a 19 ans, le 21 avril 2002, le père de Marine Le Pen faisait irruption au second tour de l’élection présidentielle, au terme d’une campagne réduite à des cris d’orfraie sur la sécurité et au bout de 20 ans d’exercice du pouvoir d’une gauche par alternance complètement discréditée : marquée au fer rouge par le tournant de la rigueur puis par d’autres reniements et promesses non tenues.

Ce 21 avril 2002, devant ce spectacle sordide (chez des amis qui avaient la télé, au soir du premier tour), j’avais couché sur le papier mes impressions dans le poème ci-dessous. Peu après, un de mes proches m’avait dit : « Ne dramatise pas, Yannis, tu sais bien que Le Pen n’arrivera jamais au pouvoir ! »

En réalité, une nouvelle ère s’ouvrait et c’est exactement 20 ans après ce mois d’avril 2002 qu’une autre Le Pen, pas forcément moins dangereuse que son père, parviendra peut-être à réaliser cet objectif de revanche de la France la plus réactionnaire et autoritaire, aux antipodes de notre utopie.

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21 AVRIL 2002, SOIR DE PEN

La fumée d’une clope embrume le décompte…
Apparaît un cyclope, accueilli dans la honte :
Le citoyen zappeur a choisi la charogne,
Jouant à se faire peur. La République est borgne.

Revoilà le bûcher, la censure et la chasse
A l’humain, les bouchers, la tonsure et le gaz !
Et du fiel à la terre, et d’Orange à Dachau,
Revoilà les charters, revoilà les fachos.

La flamme en métastase et la feuille de chêne
Se propagent et s’embrasent, et les fous se déchaînent :
Chaque chaîne étoffée de vainqueurs frénétiques
Devient autodafé sous le feu médiatique.

Les hurlements haineux des joyeux lycanthropes
Et leurs crocs vénéneux au poison misanthrope
Rassemblent les mesquins, les frustrés, les jaloux,
Dans le vote arlequin livrant la terre aux loups.

Qui est roi au pays des aveugles penauds ?
Quel imposteur haï séduit les nationaux ?
Quel faux républicain pourrait un jour frapper
Nos frères africains ou sœurs émancipées ?

Contre ses bruns desseins et sa rage opaline,
Y a-t-il un vieux vaccin, une Pen-icilline ?
Et s’il est déjà tard, au moins un antidote
Pour sauver les bâtards de sa race pâlotte ?

Le peine-à-jouir menace amour et liberté,
Et la fièvre en rosace espère en sa montée
L’avènement ultime où la loi intégriste
Règlera l’ordre intime en s’affirmant du Christ.

Hantise et pénitence animent les esprits.
La rue en résistance exprime son mépris.
Ce soir, la France en Pen s’écrit, dans son errance,
Avec un grand F-haine et l’affront du mot « rance ».

Yannis Youlountas