Misère du spectacle, spectacle de la misère
MISÈRE DU SPECTACLE, SPECTACLE DE LA MISÈRE
Petits boulots, précarité, stress, malbouffe, fatigue, pollution, multiplication des cancers, creusement des inégalités, système de santé qui s’effondre, soins dentaires de plus en plus mal remboursés : le capitalisme démolit nos corps, puis continue à nous humilier avec des solutions minables.
Misère du spectacle qui encourage à donner l’apparence que tout va bien quand tout va mal.
Spectacle de la misère qui tente maladroitement de masquer sa condition, au lieu de se battre pour la changer.
Pourtant, nos dents ne sont pas seulement faites pour sourire, mais d’abord pour manger et également pour mordre quand c’est nécessaire.
Plutôt que d’accepter du capitalisme ce petit bout de plastique minable dans nos gueules ruinées, tristes et affamées, nous ferions mieux de le mordre et de le détruire une bonne fois pour toutes.
Yannis Youlountas
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À ce sujet, quelques extraits de la Société du Spectacle de Guy Debord (1967) :
« Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation.
Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images.
Le spectacle, compris dans sa totalité, est à la fois le résultat et le projet du mode de production existant. Il n’est pas un supplément au monde réel, sa décoration surajoutée. Il est le cœur de l’irréalisme de la société réelle.
Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux.
Le spectacle se présente comme une énorme positivité indiscutable et inaccessible. Il ne dit rien de plus que « ce qui apparaît est bon, ce qui est bon apparaît ».
Il est le soleil qui ne se couche jamais sur l’empire de la passivité moderne. Il recouvre toute la surface du monde et baigne indéfiniment dans sa propre gloire.
Là où le monde réel se change en simples images, les simples images deviennent des êtres réels.
A mesure que la nécessité se trouve socialement rêvée, le rêve devient nécessaire. Le spectacle est le mauvais rêve de la société moderne enchaînée, qui n’exprime finalement que son désir de dormir. Le spectacle est le gardien de ce sommeil.
Le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue à l’occupation totale de la vie sociale. Non seulement le rapport à la marchandise est visible, mais on ne voit plus que lui : le monde que l’on voit est son monde.
Le consommateur réel devient consommateur d’illusions.
Immobilisée dans le centre falsifié du mouvement de son monde, la conscience spectatrice ne connaît plus dans sa vie un passage vers sa réalisation et vers sa mort. Qui a renoncé à dépenser sa vie ne doit plus s’avouer sa mort. La publicité des assurances sur la vie insinue seulement qu’il est coupable de mourir sans avoir assuré la régulation du système (…). Sur tout le reste des bombardements publicitaires, il est carrément interdit de vieillir. Il s’agirait de ménager, chez tout un chacun, un « capital-jeunesse » qui, pour n’avoir été que médiocrement employé, ne peut cependant prétendre acquérir la réalité durable et cumulative du capital financier. Cette absence sociale de la mort est identique à l’absence sociale de vie. »
Guy DEBORD, La Société du Spectacle, 1967