Septième épisode : Exarcheia fait l’école buissonnière
Retour en photos sur le Convoi solidaire vers la Grèce de février-mars 2019 (suite)
SEPTIÈME ÉPISODE : EXARCHEIA FAIT L’ÉCOLE BUISSONNIÈRE 🖤❤️
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Si vous avez raté les six premiers épisodes
1 – DE MARTIGUES À ANCONA
blogyy.net/2019/03/24/
2 – DU FERRY À ATHÈNES
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3 – L’ARRIVÉE À EXARCHEIA
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4 – ROUVIKONAS, LES DISPENSAIRES ET L’AG DU NOTARA
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5 – AVEC LA CUISINE SOCIALE DANS LA RUE
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6 – AVEC LES EXILÉ-ES ET LES ANTIFASCISTES
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À suivre dans les prochains jours :
8 – DÉPART EN CRÈTE SOUS HAUTE TENSION
9 – LA ZAD RENAÎT À KASTELLI
10 – LA LUTTE S’ÉTEND CONTRE L’AÉROPORT
Présentation :
Ce convoi fut non seulement le plus grand, mais sans doute le plus réussi de ces dernières années, aux côtés des principaux collectifs de lutte et de solidarité en Grèce. Une action qui a réuni des compagnons et camarades au départ de la France, de la Suisse, du Québec et de la Belgique pour se rejoindre en secret à Martigues afin d’y former un convoi de 26 fourgons et 65 conducteurs, avant de reprendre la route vers l’Italie puis la Grèce.
Ce sont des élèves de l’école voisine. Une classe accompagnée par un maitre d’école anticonformiste, comme on va le voir, tout à fait dans la veine du quartier rebelle dans lequel nous allons nous promener avec eux : Exarcheia.
Aujourd’hui, les élèves pratiquent « l’école buissonnière ».
C’est aussi le nom du collectif pédagogique de Babis, directement inspiré de Freinet. Babis ajoute :
— C’est aussi une autre façon de voir l’éducation, à travers une école beaucoup plus hors les murs !
Depuis quelques années, à Exarcheia et en Crète, Yannis participe lui aussi à ce projet :
— Parce que l’enfermement scolaire s’oppose au but affiché. On ne peut pas apprendre la vie à des personnes auxquelles on la confisque. La vie, c’est de l’espace et du temps. Aussi, ce qu’osent Babis et les autres camarades du collectif est essentiel : revenir au sens premier du mot éducation, c’est-à-dire accompagner et non guider. »
Babis confirme :
— Si l’on veut vraiment accompagner, alors, il faut sortir, se promener, aller à la découverte du quartier, de la ville, du monde ! Sans oublier la correspondance scolaire avec des enfants d’ailleurs ! C’est pour ça qu’aujourd’hui encore, nous sommes sortis de l’école ! »
Chaude ambiance ! On refait le monde au cœur d’Exarcheia ! On se rencontre, on discute, on se dit des poèmes…
Babis ajoute : « Les enfants ont naturellement besoin de bouger, de toucher, de respirer. Ils ont besoin d’un rapport concret avec la réalité, avant d’aller plus avant dans son étude, par exemple en sciences naturelles. Si l’on veut parler des fleurs ou des arbres, allons d’abord les voir ! Suscitons le désir d’en savoir plus, au lieu de faire tomber du ciel un savoir théorique indigeste ! »
Les membres du convoi acquiescent. Les enfants aussi. La liberté et l’égalité ne s’apprennent pas, elles se vivent au jour le jour dans l’expérience de l’autonomie et de la coopération.
Allez hop ! Une chanson, avant de rejoindre la place Exarcheia !
Dans les bras de Fifi : Dorian est impressionné par le bagout et la charisme des élèves de Babis
Étape suivante : la librairie de la place. Les enfants vont flâner dedans, feuillettent des livres, s’intéressent à la façon dont le libraire a tout classé. Puis, à l’extérieur, nouveau poème sur les chats, le thème du jour !
Ensuite, plusieurs enfants (parfois déguisés en félins) lisent bien fort dans un micro des extraits d’un livre qu’ils ont aimé. Ou plutôt « elles », car aujourd’hui les filles prennent plus la parole que les garçons !
La petite charrette de livres et d’instruments de musique tirée par les enfants poursuit son chemin de l’autre côté de la place, toujours accompagnée par les enseignants et les membres du convoi.
Comme à chaque étape, Babis présente le lieu où nous sommes et transmet quelques éléments d’Histoire. Ici, à Exarcheia, il y a de quoi faire, tant ce quartier et cette place en particulier ont participé à l’histoire des luttes en Grèce !
Les enfants forment ensuite un cercle autour d’un arbre…
Un élève prend la parole au micro. Sa voix résonne sur toute la place. Au loin, les passants se retournent. Le centre du quartier est à l’écoute.
Sous les anges du lampadaire central de la place, on parle de liberté, de justice, d’égalité à travers des métaphores… Dans la musique des mots et la profondeur des images, les enfants s’expriment haut et fort, au cœur de leur quartier, sans qu’il y ait besoin d’un rendez-vous formel et exceptionnel. Ce qui est dehors est dedans et vice-versa. L’école fait partie du quartier et le quartier de l’école.
Les petites mains se détachent autour de l’arbre. Un autre enfant demande et prend le micro. Son regard est profond, décidé, bienveillant. La classe témoigne d’une grande attention mutuelle tout autant que du monde qui l’entoure. La coopération et l’autonomie y sont sans doute pour beaucoup.
À son retour, la classe produira un compte-rendu de cette promenade qui sera ensuite publiée, dès le lendemain, sur le site de « L’École buissonnière » (Skasiarcheio), accessible à tou-tes les habitant-es d’Exarcheia.
Sur la page d’ouverture du site, on trouve aussi un hommage à Célestin Freinet qui a fait beaucoup d’émules en Grèce ces dernières années : une pédagogie moins autoritaire, dans laquelle ce n’est plus le maître qui est au centre, mais l’enfant.
Pendant que les élèves sont retournés dans l’école, en attendant la fin des cours, nous leur préparons une surprise !
Pas que pour eux d’ailleurs : également pour les autres élèves de l’école, quel que soit l’âge !
13h15 sonne ! C’est la fin de la journée scolaire ! Les premiers écoliers sortent de l’enceinte très colorée…
Rapidement, les enfants qui ont fait « l’école buissonnière » avec nous arrivent ! L’un d’entre eux dit à son voisin :
— Moi aussi, je suis révolutionnaire… Je veux qu’on reprenne tout aux riches et qu’on partage.
— Et si le premier ministre n’est pas d’accord ?
— On vivra sans chef !
Matthieu grimpe dans un arbre pour croquer ce moment…
Croqué !
Les écoliers sortent de plus en plus nombreux. Les parents sont également au rendez-vous.
Vite, il faut rajouter des cartons ! Mais pas tous : certains vont être transmis plus tard au collectif d’enseignant-es pour être distribués aux enfants les plus en difficultés.
On met de côté un fourgon entier de fournitures scolaires, cahiers, stylos, feutres, crayons, cartables pour nos camarades enseignant-es rebelles.
Sauf les ramettes de papier qu’on a toutes livrées à Rouvikonas
Il y en a pour tous les goûts !
Merci aux enfants de France, Belgique et Suisse qui ont participé à la collecte pour leurs camarades grecs et migrants. 🖤❤️
Les écoles d’Exarcheia sont multicolores, tant sur les murs que sur les visages. Les enfants et leurs parents viennent de partout dans ce quartier réputé antifasciste, libertaire et révolutionnaire. Il y a quelque chose de fort, de beau, de puissant dans cette diversité qui nous émeut. La diversité des langues sonne également à l’oreille : au moins 6 ou 7 langues sont parlées autour de nous.
Et tout ça dans un grand respect mutuel, une grande bienveillance. Ici, pas de dispute et pourtant : la plupart des jouets ne sont pas en doubles !
Céline semble avoir joué à ça, il y a quelques années !
Patrick, Younès, Marco, Clem et Anne-Lise sortent les instruments : comme souvent, ça se termine dans la joie en musique !
Les chansons sont révolutionnaires, bien sûr, sous le drapeau rouge et noir qui flotte dans la rue !
En particulier, la chanson « Je suis fils » de Corringan Fest, dont Sarah commence à apprendre les paroles
« JE SUIS FILS
Je suis fils de marin, qui traversa la mer
Je suis fils de soldat, qui déteste la guerre
Je suis fils de forçat, criminel évadé
Et fils de fille du Roi, trop pauvre à marier
Fils de coureur des bois et de contrebandier
Enfant des sept nations et fils d’aventurier
Métis et sang-mêlé, bien qu’on me l’ait caché
C’est un sujet de honte j’en ferais ma fierté.
Laï, laï, laï.
Je suis fils d’Irlandais, poussé la famine
Je suis fils d’écossais, v’nu crever en usine
Dès l’âge de huit ans, seize heures sur les machines
Mais Dieu sait que jamais je n’ai courbé l’échine
Non, je suis resté droit, là devant les patrons
Même le jour où ils ont passé la conscription
J’suis fils de paysan, et fils d’ouvrier
Je ne prend pas les armes contre d’autres affamés
Laï, laï, laï…
Ce n’était pas ma guerre, alors j’ai déserté
J’ai fui dans les forêts et je m’y suis caché
Refusant de servir de chair à canon
Refusant de mourir au loin pour la nation
Une nation qui ne fut jamais vraiment la mienne
Une alliance forcée de misère et de peine
Celle du génocide des premières nations
Celle de l’esclavage et des déportations
Laï, laï, laï, laï
Je n’aime pas le lys, je n’aime pas la croix
L’une est pour les curés, et l’autre est pour les Rois
Si j’aime mon pays, la terre qui m’a vu naître
Je ne veux pas de Dieux, je ne veux pas de maître
Je ne veux pas de Dieux, je suis mon propre maître
Laï, laï, laï… »
Non. Pas de malentendu possible : il s’agit bien d’une action solidaire, c’est-à-dire politique, et non pas humanitaire
À l’heure de ranger, le bonheur se lit sur les visages. Et une fois de plus, nous répétons à certains parents et enseignants :
— Nous ne sommes que des messagers. Ce soutien vient de celles et ceux qui, comme nous, luttent à l’autre bout de l’Europe et qui soutiennent aussi d’autres lieux dans le quartier et ailleurs en Grèce.
— Alors, s’il vous plaît, remerciez-les chaleureusement de notre part. C’est formidable cette chaine de solidarité, ce lien direct entre nous, qui ne passe pas par les gouvernements et leurs serviteurs. Nous aussi, on ne les veut plus ! On n’a plus besoin d’eux !
Au lendemain de cette journée, le compte-rendu des écoliers parle des moments passés ensemble et précise : « Ce fut pour nous l’occasion de mieux connaitre les personnes qui, depuis des années, nous font passer cahiers et stylos… «
Plus tard, nous nous retrouvons avec une partie du réseau École buissonnière à l’assemblée de Gyzi, en bordure nord d’Exarcheia.
Après les présentations mutuelles, la soirée porte sur deux sujets successifs : le boom de la pédagogie Freinet en Grèce, puis une tentative de décryptage de la révolte des Gilets jaunes en France (à la demande des camarades grec-ques). Pas mal de membres du convoi peuvent témoigner de cette lutte à laquelle ils ou elles participent, parfois très activement. Seules deux membres du convoi sont plutôt critiques envers ce mouvement et précisent leur point de vue négatif dans la discussion. Comme d’habitude, ce sujet ne laisse pas indifférent.
Sarah et Solange se chargent de transmettre le soutien financier prévu par l’assemblée du convoi sur le ferry. Un soutien qui va servir à la fois pour l’édition d’une brochure pédagogique sur le thème de l’émancipation des enfants et pour l’aide matérielle aux écoliers les plus en difficultés, en complément des fournitures transmises.
La lutte contre toutes les formes de domination et d’exploitation passe, nécessairement et de toute urgence, par celle des enfants.
Voilà, c’est fini pour aujourd’hui. On se retrouve demain pour le huitième épisode de notre petit feuilleton
Encore merci à toutes celles et ceux qui ont participé à la préparation de ce convoi, d’une façon ou d’une autre. Et à demain pour la suite !
Épisodes précédents :
1 – DE MARTIGUES À ANCONA
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2 – DU FERRY À ATHÈNES
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3 – L’ARRIVÉE À EXARCHEIA
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4 – ROUVIKONAS, LES DISPENSAIRES ET L’AG DU NOTARA
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5 – AVEC LA CUISINE SOCIALE DANS LA RUE
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6 – AVEC LES EXILÉ-ES ET LES ANTIFASCISTES
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Demain :
8 – DÉPART EN CRÈTE SOUS HAUTE TENSION
9 – LA ZAD RENAÎT À KASTELLI
10 – LA LUTTE S’ÉTEND CONTRE L’AÉROPORT