Sur la quête d’autonomie

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« Pour nommer l’alternative qui se cherchait confusément, le terme AUTONOMIE a fini par s’imposer. Car qu’est-ce que cette autonomie alimentaire ou énergétique à laquelle de plus en plus de gens aspirent aujourd’hui, si ce n’est la volonté de reprendre en charge une part de leur subsistance ? Derrière ce terme, il y a le désir de reconquérir une liberté que l’on a perdue en devenant dépendant du système industriel, donc de l’argent qui permet d’acheter les marchandises qu’il produit, donc (pour la plupart des gens) du salariat qui procure cet argent à condition de se soumettre aux emplois disponibles sur le marché du travail.
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Dans le lexique politique actuel, le terme « autonomie » est toutefois clivé entre deux acceptions qui sont souvent pensées l’une sans l’autre, voire l’une contre l’autre : d’un côté, l’autonomie matérielle qui vient d’être évoquée, souvent associée aux écologistes soucieux de construire des formes de vie alternatives ; de l’autre, l’autonomie politique des militants qui luttent à couteaux tirés contre l’existant. Cette dissociation est le fruit pourri de l’échec de la révolte de 1968 et de la contre-révolution qui l’a suivie. Le fossé d’emblée présent entre les deux versants du projet d’autonomie n’a cessé de se creuser au point d’en faire deux options inconciliables, toutes deux aussi vaines et illusoires l’une que l’autre : celle des écocitoyens en quête de niches au sein du système, qui ont renoncé à créer d’autres formes de vie. Comme s’il était possible de construire un autre monde sans lutter contre l’existant ; comme s’il était pensable de saper les bases de la domination sociale sans élaborer des formes de vie qui en soient moins tributaires.
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Depuis son renouveau à la fin des années 1990, le mouvement anticapitaliste a de plus en plus pris conscience qu’il fallait réarticuler les deux versants de l’autonomie, qui sont en fait les deux jambes de la révolution nécessaire pour éviter que le désastre socio-écologique vire au carnage. C’est ce qu’ont fait les zapatistes à partir de 1994, en combinant lutte d’autodéfense et construction de l’autonomie au Chiapas. Dans un tout autre contexte, c’est aussi ce qu’a su faire le mouvement des Zad, et cette mise en œuvre de l’idéal d’autonomie contribue sans doute à expliquer qu’il ait suscité un intérêt bien au-delà du « milieu autonome », et ait pu contraindre l’oligarchie à abandonner certains de ses projets mortifères. »
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– Aurélien Berlan, Terre et liberté – La quête d’autonomie contre le fantasme de délivrance, 2021.
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(merci à Ed Wood pour le conseil de lecture)