Concernant la victoire possible de Le Pen

Ma réponse à vos messages.

CONCERNANT LA POSSIBLE VICTOIRE DE LE PEN ⏱

À l’heure qu’il est, je ne suis pas en France, mais encore en convoi solidaire en Grèce, avec les 5 derniers fourgons. Nous sommes entre Athènes et Héraklion, en soutien de plusieurs collectifs d’aide aux réfugiés et aux grecs précaires : squats, cuisines solidaires, structures autogérées de santé… (nous publierons bientôt un compte-rendu en photos).

Depuis le bout de l’Europe, nous suivons avec tristesse l’évolution de la situation dans l’hexagone : l’extrême-droite est maintenant aux portes du pouvoir, chose sans précédent en France depuis 82 ans.

Ces derniers jours, j’ai reçu plusieurs messages me demandant mon avis. Je n’ai pas de conseil à donner, mais je peux dire sans problème ce que j’ai décidé de faire.

C’est un secret pour personne : je suis anarchiste, je ne crois pas à la démocratie prétendument représentative ni au système électoral qui permet à une caste de notables de la classe dominante de se maintenir au pouvoir avec l’appui des médias de masse à la solde de quelques milliardaires. Je vote très rarement : uniquement dans des circonstances exceptionnelles. La plupart du temps, je préfère m’abstenir et je me consacre uniquement aux luttes sociales et environnementales, parfois au moyen d’actions artistiques et solidaires. Le plus souvent, je refuse de voter car je me sens dupé sitôt que je me rapproche de l’isoloir, comme dans une sorte de cirque, de spectacle illusoire, de farce grotesque et sans réel enjeu, tant le changement promis est insuffisant à mes yeux.

Mais cette fois, c’est précisément l’inverse : j’aurais l’impression de me renier en restant à l’écart des circonstances que nous traversons actuellement dans l’hexagone. Croulant sous les affaires, Macron est en chute libre. Le Pen est désormais à deux doigts du pouvoir. La candidate d’extrême-droite semble en mesure de l’emporter au second tour, contrairement aux alertes précédentes, en 2002 et en 2017, qui n’étaient pas aussi graves tant l’écart était important.

Ces derniers jours, j’ai donc discuté de cette situation nouvelle avec mes proches : compagnons anarchistes, camarades de gauche et antifascistes, solidaires de toutes sortes, mais aussi avec des amis migrants et réfugiés pour la plupart inquiets. J’ai lu l’excellent texte de Nantes révoltée sur le sujet(1), celui du collectif Urgent notre police assassine et ceux de plusieurs groupes antifascistes qui considèrent, comme moi, ce moment périlleux et sans précédent.

Toutefois, ce n’est pas une surprise à nos yeux. Depuis plus de dix ans le confusionnisme et les théories du complots les plus grotesques ont aspiré une part croissante des couches populaires à l’extrême-droite(2). La plus dévastatrice de ces théories du complot est sans doute « le grand remplacement »(3), parmi beaucoup d’autres délires dangeureux contre lesquels nos alertes n’ont pas été suffisantes. Nous avons lutté contre ces passerelles inlassablement, mais d’autres les ont laissé inonder les réseaux, les communications, les agendas. Si l’extrême-droite arrive finalement au pouvoir, beaucoup d’imbéciles heureux et de naïfs dangereux y seront aussi pour quelque chose.

Alors que dans 18 jours, Le Pen sera vraisemblablement en mesure de gagner l’election face à un président sortant complètement détesté et discrédité, il est encore possible d’empêcher l’extrême-droite d’arriver au pouvoir sans avoir à voter pour l’ignoble banquier qui a prétendu nous gouverner durant 5 ans ; sans avoir à choisir entre la peste et le choléra. Beaucoup de mes proches ont décidé de procéder de la même façon : intervenir au premier tour pour empêcher Le Pen d’être au second. Je ferai de même, dans un élan peut-être vain, mais qui dépasse manifestement les clivages habituels. J’ai laissé un pouvoir à un proche resté dans l’hexagone qui va voter pour le candidat de l’Union Populaire au premier tour.

À ce que je sais, beaucoup d’amis d’origine africaine qui vivent dans des banlieues sont également en train de se mobiliser, dont certains pour la première fois. Le nombre de messages que je vois passer en ce moment est impressionnant. Idem dans d’autres cercles où le vote n’est habituellement pas une option. Rien à voir à ce que j’avais pu observer à quelques occasions dans le passé : beaucoup vont intervenir, dont pas mal d’irréductibles anti-élections qui m’avaient taquiné par le passé quand j’étais l’un des seuls anarchistes à oser parfois franchir le rubicon. L’un d’entre eux m’a dit hier : « oui, mais là c’est pas pareil, Yannis, je ne fais confiance à personne, je veux juste empêcher l’extrême-droite de prendre le pouvoir, car cette fois elle peut y parvenir. Rien de plus. »

Chacun présente les choses comme il veut, tourne les mots à sa façon, ajoute sa patte… Un provocateur habile en dessin m’a dit qu’il allait se rendre devant l’urne avec une pince à linge sur le nez. Un autre nous a raconté qu’il allait peut-être mettre des gants pour glisser le bulletin dans l’urne. Un autre encore ira voter avec son tee-shirt noir couvert d’un immense A cerclé. Moi, je n’aurai pas besoin d’inventer quelque chose, car je n’aurai pas à me déplacer, vu que j’ai simplement transmis un pouvoir à un proche

Certes, cette mobilisation tardive ne suffira peut-être pas. C’est vrai. Mais ne faut-il pas essayer ce dernier recours avant qu’il ne soit trop tard ? Je serai triste d’apprendre depuis la Grèce, dans quelques jours, que la France a basculé à l’extrême-droite et que la famille Le Pen dirige désormais le pays.

Désolé pour Philippe Poutou qui est un type bien et un ami qui m’a hébergé plusieurs fois à Bordeaux, désolé également pour certains de mes compagnons anarchistes qui m’ont conseillé de ne pas exprimer publiquement ma position, mais c’est décidé et ça n’a rien de honteux : comme beaucoup d’autres antifascistes, je souhaite que Jean-Luc Mélenchon et certains de nos amis qui l’entourent barrent la route du second tour à l’extrême-droite et, tant qu’à faire, qu’ils essaient de virer Macron au second tour.

À bas Macron ! À bas l’extrême-droite ! No pasaran ! Vive la sociale !

Rendez-vous dans la rue sitôt les élections passées, dans les luttes, partout, quel que soit le pouvoir que nous aurons en face de nous, car rien de bon n’adviendra sans que nous ne poussions, sans que nous ne combattions !

Courage à tou-tes, dans votre diversité, et dans le respect de vos choix respectifs !

Anarmicalement depuis la Grèce,

Yannis Youlountas

(1) Nantes Révoltée sur le vote de dimanche :
https://www.facebook.com/Nantes.Revoltee/posts/5029928117043321 (commentaires intéressants également)
(2) « Devenir fasciste, avec la confusion c’est possible ! » (La Horde)
https://lahorde.samizdat.net/devenir-fasciste-avec-la-confusion-cest-possible
(3) « Grand remplacement : histoire d’une idée mortifère » (excellent documentaire inédit, 50mn)
https://www.youtube.com/watch?v=l-LYk4XQ1yo