Lettre aux adultes qui méprisent les jeunes et les rendent responsables à leur place de l’état du monde
Voici ma réponse à une publication qui, comme tant d’autres, dénigre la jeunesse actuelle, répète que « le niveau baisse » et prétend que « c’était mieux avant. »
LETTRE AUX ADULTES QUI MÉPRISENT LES JEUNES ET LES RENDENT RESPONSABLES À LEUR PLACE DE L’ÉTAT DU MONDE
Oui, bien sûr, vous tenez là un parfait bouc émissaire : tout est de la faute des gosses, de la nouvelle génération abrutie et décervelée ! Profitez-en, lâchez-vous, régalez-vous, gueulez-leur dessus, humiliez-les, ne vous gênez-pas, affirmez votre supériorité, vous les adultes tellement sages !
Allez, dites aussi tant qu’à faire, comme tous les autres vieux nostalgiques avant vous : « c’était mieux avant » ! Une ritournelle qui s’ajoute presque toujours aux discours agistes et aux blagues pourries contre la jeunesse. C’était mieux avant ? Ah bon ? Mais quand exactement ? Depuis des millénaires, l’humanité ne produit que guerre, esclavage, domination, exploitation… C’était mieux avant pour qui ? C’était mieux avant pour les femmes ? C’est mieux avant pour les esclaves ? C’était mieux avant pour les serfs ? C’était mieux avant pour les enfants ? C’était mieux avant pour les handicapés, accidentés de la naissance ou de la vie, estropiés et invalides en tous genres ? C’était mieux avant pour les athées, les artistes, les philosophes, les libres penseurs ? C’était mieux avant pour les pacifistes, les amoureux de la vie, les objecteurs de conscience ? Mais de quoi parlez-vous sinon d’un passé mythifié comme il s’en trouve à la racine de tous les fléaux idéologiques qui glorifient le passé — et sacralisent le territoire — tout en sermonnant la jeunesse soit-disant décadente.
Je vais vous dire une chose, messieurs les pères la rigueur : si vous n’aviez pas laissé faire de ce monde un enfer, à force de reculades, d’obéissance envers vos supérieurs jusqu’au sommet du pouvoir, à force de compromissions confortables et de luttes hypothétiques bien trop parcellaires, si vous aviez fait ce que vous aviez à faire, les enfants d’aujourd’hui ne seraient pas la proie des publicitaires, politiciens et influenceurs de tous poils.
Année après année, génération après génération, nous ne sommes pas assez nombreux à lutter, à résister, à refuser ce monde injuste et abrutissant, violent et décervelant. Nous sommes pas assez nombreux à proposer la fin pure et simple des rapports de domination et d’exploitation, à promouvoir la coopération, l’entraide et l’autogestion plutôt que la compétition, le chacun pour soi et la bureaucratie qui nous broie, adultes et enfants, comme de la chair dans un hachoir. Nous ne sommes pas assez nombreux à oser sortir de notre zone de confort, de notre posture de militant 2.0 ou de bobo pantouflard donneur de leçons pour descendre réellement dans les catacombes de cette société mortifère qui est toute entière une injure à l’intelligence et au bon sens.
Le pouvoir est un voleur de vies. À force d’obéir et de subir, nous vivons comme si nous étions déjà morts, au fond de nos cercueils tout équipés. Pareillement, le capitalisme détruit inexorablement toute vie sur Terre à une vitesse inouïe et nous laissons faire parce que notre frigo est encore à moitié plein et que la paye, même modeste, tombe encore à la fin du mois pour aller faire nos emplettes grotesques en râlant seulement contre la hausse du prix de l’essence.
Où sont la liberté, l’égalité et la fraternité dont vous vous faites les chantres ? Nulle part ! Ce ne sont aujourd’hui que des mots creux qui décorent illusoirement des monuments qui servent en réalité les intérêts opposés. Il n’y a pas de liberté quand le pouvoir politique et économique nous dicte sans cesse nos vies et nous rappelle à l’ordre en permanence. Il n’y a pas d’égalité en droits quand certains naissent encore dans la soie et d’autres dans des cartons. Il n’y a pas de fraternité quand les discriminations et la haine de la différence sont présentes partout dans la société jusque dans les rouages de l’État. Cette devise est totalement galvaudée, fumeuse, sans existence palpable. Ce que nous voulons, c’est la liberté authentique, l’égalité réelle et la fraternité (adelphité) universelle.
Idem pour la démocratie dont vous vous targuez bien souvent, sitôt qu’on se permet d’exprimer des opinions radicales : quand le pouvoir économique possède la plupart des médias de masse et l’ensemble des GAFA, c’est lui et lui seul qui choisit en réalité les représentants qui lui conviennent sur le trône et les postes clés du pouvoir politique. Le pouvoir économique dicte tout simplement sa loi, via les élus qui lui sont redevables, et les médias dominants font du débat démocratique un théâtre de boulevard.
Ce monde là que vous défendez, que vous transmettez, que vous incarnez, certes avec des divergences mineures et des désaccords inoffensifs, vous savez bien qu’il ne tourne pas rond. Mais qu’avez-vous fait réellement pour changer les choses ? N’êtes vous pas précisément les principaux responsables de cette catastrophe, bien plus que les plus jeunes et les plus vulnérables d’entre nous ? En effet, n’est-ce pas vous, les hommes adultes et instruits qui servez de classe tampon en occident ? N’est-ce pas vous qui avez jadis écrasé femmes et enfants, étrangers et migrants, et qui, aujourd’hui encore, n’hésitez à faire des uns ou des autres les boucs-émissaires de vos lâchetés ? N’est-ce pas vous, aujourd’hui encore, qui avez l’arrogance de rappeler votre culture et votre instruction à tout bout de champ, sans qu’elles n’aient jamais servies à faire une révolution sociale ? Vous qui avez le culot de montrer du doigt les fautes d’orthographe des uns et les défauts d’élocution des autres, vous qui hurlez sur vos élèves et qui vous croyez supérieurs avec mépris, vous devriez regardez dans le miroir et y voir votre pire ennemi.
Si le monde va mal, si la planète agonise, si la société n’est que guerres économiques et militaires, si l’humanité et la vie sur Terre sont pour l’instant condamnées, ce n’est pas à cause des plus jeunes qui viennent à peine d’arriver ni des plus vulnérables parmi nous — innombrables victimes de cette horreur planétaire — mais à cause de gens comme vous qui reçoivent tant bien que mal leur part du gâteau et qui profitent de ce système absurde sans rien faire, sinon dénigrer les nouveaux venus dans cet enfer.
Continuez à vous croire meilleurs que vous n’êtes et à incriminer les plus vulnérables. Continuez à mythifier un passé glorieux qui n’a jamais existé. La vérité est que votre culture et votre instruction ne vous servent pas à grand chose puisque vous ne tournez pas ces armes, ces outils, cette énergie contre les bourreaux mais contre leurs toutes dernières victimes. Je vous laisse à votre mépris et à vos illusions.
Yannis Youlountas