Sur le problème de la visibilité

Aujourd’hui, les journaux télévisés grecs montrent la solidarité du groupe Rouvikonas avec les antifascistes lyonnais : c’était hier soir au Consulat de France à Athènes.

SUR LE PROBLÈME DE LA VISIBILITÉ ★ 🏴

La première chose à souligner, c’est qu’au moins, les médias de masse grecs — aussi affreux et bling bling qu’ils soient — laissent une petite place pour les actions du mouvement social dans la hiérarchie grotesque des infos. Comme nous l’avons montré dans L’Amour et la Révolution, les JT grecs parlent souvent d’anarchisme et d’antifascisme, même si c’est pour en dire du mal. Les médias évoquent en particulier, plusieurs fois par semaine, le groupe anarchiste le plus célèbre ici : Rouvikonas, ainsi que les nombreuses causes qu’il soutient.

À l’inverse, en France, c’est le silence complet, la négation par l’occultation, la poussière sous le tapis, une stratégie ignoble du pouvoir qui tait complètement l’existence de son pire ennemi, excepté dans de très rares circonstances qui lui offrent plutôt l’occasion de propager la confusion (anarchie = chaos, anarchie = violence, antifascisme = intolérance, antifascisme = hooliganisme).

À croire qu’en France, l’anarchisme n’existe pas ! Un comble ! Le prétexte fallacieux des médias est que ce mouvement ne participe pas aux élections et donc qu’il ne peut pas bénéficier de la visibilité que les campagnes électorales apportent. Ridicule ! Et entre les élections ?

Ceci étant dit, pour bien connaitre les mouvements en France et en Grèce, il est vrai que l’anarchisme semble parfois ronronner dans l’hexagone, par rapport aux actions souvent plus radicales et plus utiles à la base sociale à l’autre bout de l’Europe, aux côtés des précaires grecs et migrants.

Il me semble que nous devrions nous interroger là-dessus en France. Rappelons que ni Rouvikonas ni aucun autre groupe anarchiste en Grèce ne collabore avec les médias de masse. Mais ils parviennent à forcer le court des choses ! Ils font en sorte d’obliger les télés de montrer leur matériel vidéo et photo, du fait de l’ampleur de leurs actions pertinentes et fréquentes, notamment dans des lieux rendant impossible l’occultation de l’information (attaque du parlement ou du palais du premier ministre, sabotage des bureaux de la privatisation du bien commun, action solidaire en pleine catastrophe naturelle quand les services de l’État sont à la ramasse, etc.).

Et surtout, les réseaux anarchistes et antifascistes que je côtoie en Grèce me semblent un peu plus reconnus dans la population. Tout d’abord, beaucoup plus de gens se revendiquent « antifascistes » en Grèce. C’est sans doute lié à la dramatique expérience de l’extrême-droite au pouvoir durant la dictature des Colonels, au devoir de mémoire et de vigilance. Concernant l’anarchisme, les idées anti-autoritaires et autogestionnaires sont visibles de façon un peu plus concrètes ici. Par exemple : dans les dispensaires médicaux autogérés et dans beaucoup d’autres types de lieux ouverts sur la société et surtout utiles sinon indispensables.

Même si le contexte est aujourd’hui devenu très difficile en Grèce, en particulier depuis le retour de la droite au pouvoir en 2019 (surtout pour la concentration de lieux et de personnes qui faisait la richesse d’un quartier comme Exarcheia depuis plusieurs décennies), j’ai l’impression que cette empreinte ineffaçable dans l’opinion a nettement mieux réussi à affirmer son existence dans le débat public sur les alternatives sociales et politiques. C’est une présence bien visible dans la société, une ombre noire et rouge qui talonne les lumières funestes du spectacle médiatique.

Même si le chemin sera encore long, très long, vers l’utopie, la donner à voir de multiples manières est une nécessité pour la propager. Alors, sortons de l’entre-soi et essayons de nous rendre utile concrètement tout en montrant de façon éclatante ce que nous désirons et pourquoi cet objectif est réalisable !

Nous nous enfonçons actuellement dans une sombre période de crises en tous genres, plus bouleversantes les unes que les autres, dans laquelle nous avons quelque chose à dire, à proposer, à démontrer. Quelque chose de complètement différent. Hors-cadre. Hors-normes. Quelque chose de renversant. À nous de faire en sorte que l’avenir bascule vers l’utopie et non vers la dystopie à nouveau. Mais pour ça, il faut parvenir à faire entendre une autre mélodie que les sinistres marches militaires, racistes et nationalistes qu’on veut encore nous asséner.

Le temps critique est aussi le temps de la critique. Toute crise est aussi une crise de sens. L’occasion de tout remettre en question.

Yannis Youlountas

Extrait vidéo d’un des JT du jour en Grèce :
https://www.tvopen.gr/watch/91615/prosagogesmelontoyroybikonagyroapotogallikoproxeneio

Voici de quelle façon Rouvikonas parvient à s’imposer dans les médias en Grèce sans jamais les fréquenter :