Jean-Jacques Reboux, l’anar qui aimait les poules, mais pas les poulets (1958-2021)

C’est l’hécatombe en ce moment ! Et que des gens biens ! Hep, là-haut ! Vous pourriez pas nous débarrasser de Zemmour, Macron, Lallement ou Le Pen et lâcher un peu la grappe à nos copains ?
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JEAN-JACQUES REBOUX, L’ANAR QUI AIMAIT LES POULES, MAIS PAS LES POULETS (1958-2021)
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J’ai connu Jean Jacques Reboux il y a 20 ans. À l’époque, on était tous les deux invités dans les mêmes salons du livre, en particulier celui de Gaillac, ville du pinard dans le Tarn. On passait au moins deux ou trois jours ensemble chaque année. On allait grailler chez Pascal Dugommier-Polisset avec les anarchistes et gauchistes les moins fréquentables du salon. On buvait des coups avec Michel Grossin, notre libraire local qui était comme un frère pour nous. On discutait, on signait, on chantait, on allait pisser exprès à l’heure où passait les politiciens pour nous serrer la pogne. On vendait bien, vu que le public local commençait à bien nous connaitre et qu’on était de « bons gars » (sauf de l’avis des notables). Et puis on repartait à la fin du salon avec un carton de bouteilles chacun, à l’effigie de l’affiche de l’année. Je crois que c’était début octobre, après les vendanges.
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Dans notre bande, il y avait aussi l’inénarrable Jean-Bernard Pouy et d’autres auteurs de polars, mais aussi des visiteurs du même tonneau au gré de leurs sorties de bouquins, comme Magyd Cherfi des Zebda (cf. photo du salon 2008, je crois).
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On se moquait des auteurs qui mettaient leur cul sur la table pour vendre : ils haranguaient le chaland ou parlaient très fort, comme, une année, le frère de Galabru qui, ayant la même voix que l’acteur célèbre, s’en servait pour fourguer ses gribouillis aux passants venus là un peu par hasard (« c’est quoi que vous vendez là ? des cartes postales ? »).
Heureusement qu’on était entre copains, parce que les salons du livre, ça ressemble souvent à IKEA : le public tourne en rond dans un labyrinthe et nous, les auteurs, on joue un peu le rôle des meubles en exposition ! De temps à autre, il y avait aussi des débats, souvent animés par Pascal ou Jean-Jacques. Perso, je m’y collais aussi sur mes sujets préférés : l’amour et la révolution (ben oui, je suis un peu obsessionnel).
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Dans les années 2010, j’ai cessé brutalement d’être invité du Salon du Livre de Gaillac. Les cordons de la bourse était tenus par le Président du Conseil Général du Tarn et ce dernier m’avait vraiment dans le nez à cause de ma participation à des actions contre lui, surtout à l’époque de la résistance contre le barrage de Sivens sur la ZAD du Testet. Je lui avais notamment dédié une chanson reprise dans les manifs : « Monsieur le président du Conseil Général » (chantée ici par l’ami Guillaume Barraband : https://www.youtube.com/watch?v=PbCVXYuv_M4 ) sur l’air du déserteur de Boris Vian. Et puis, je refusais publiquement de lui serrer la pogne. Bref, c’était trop : liste noire, Youlountas ! Finies les retrouvailles annuelles avec Jean-Jacques et les autres !
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Jean-Jacques était un bon vivant, gai, souriant, vaillant, insoumis, rieur, attaché plus que tout à sa liberté et, plus largement, à la nôtre. En particulier la liberté de se moquer des puissants, des flics, des chefs, des présidents et autres affreux jojos. Il avait fondé le Collectif pour une dépénalisation du délit d’outrage (Codedo) et écrit plusieurs bouquins sur le sujet : « Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy, ministre des libertés policières » (2006), puis « Lettre au garde des sceaux pour la dépénalisation du délit d’outrage » (2008, avec Romain Dunand). Jean-Jacques était surtout un poète et un auteur de polars, notamment plusieurs « poulpes« , et de « L’esprit Bénuchot« , une belle histoire comme il aimait nous en raconter. Il avait également fondé une revue de poésie dans les années 80, puis s’était lancé dans l’édition, exercice difficile à petite échelle.
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Il y a deux ans, il m’avait recontacté pour venir avec nous en convoi solidaire en Grèce, action qu’il soutenait, alors qu’il était complètement fauché. Car Jean-Jacques, c’était ça aussi : un humain altruiste et généreux, sans tambour ni trompette, sans cravate ni paillettes, un type chouette, un vrai de vrai, qui, parmi de nombreux actes forts dans sa vie, a hébergé des sans papiers et a lutté inlassablement contre l’injustice.
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Jean-Jacques se disait anar. Je pense qu’il l’était, même si aucun anar ne parvient réellement à incarner cette idéologie exigeante qui prône le refus absolu de toute autorité et qui se décline dans plein de domaines. Dans une société comme la nôtre, où foisonnent serrures et clés, fric et portefeuilles, urnes et bulletins de vote, flics et automobilistes, patrons et salariés, difficile de suivre en tous temps et en tous lieux la ligne pure qui serait de tout envoyer balader pour vivre enfin libre : débarrassé des turpitudes du vieux monde qui nous pèsent tellement !
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Finalement, Jean-Jacques ne viendra jamais avec nous en Grèce. Alors qu’on attendait la fin de la pandémie pour en reparler, il est tombé malade. Le 27 juin dernier, son tout dernier message concernait sa chimio alors qu’il essayait de sauver son foie et tout le reste avec.
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Finalement, en bon anar qui se respecte, dans la lignée du vieux Léo, Jean-Jacques est mort un 14 juillet. Lui qui détestait les défilés militaires et les parades présidentielles, il leur aura tourné le dos une bonne fois pour toutes ! Un dernier acte de désobéissance pour notre ami disparu à l’âge de 62 ans.
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Comme beaucoup d’écrivains, Jean-Jacques adorait les chats, mais il avait aussi une passion moins courante pour les poules ! Par contre, il détestait les poulets 😉
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Si vous n’avez pas eu la chance de connaître Jean-Jacques Reboux, lisez-le ! C’est tout ce qui nous reste de lui, avec les souvenirs et son envie contagieuse de dire m… à tous ceux qui veulent nous faire plier ! Avec toi, Jean-Jacques, à jamais contre les chefs et leurs valets en uniformes !
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Yannis Youlountas
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