Jusqu’où ?

À l’heure qu’il est, des rassemblements et des manifestations débutent en bravant le couvre-feu à Athènes et dans d’autres villes de Grèce. Une nuit d’attaques ciblées va suivre, alors que les rumeurs se multiplient quant à la suite.

Alors que Dimitris Koufontinas entre progressivement dans la phase terminale et irréversible de son dernier combat, les politiciens au pouvoir s’affairent dans les bureaux ministériels et croient jouer une partie d’échecs.

Cet après-midi à Athènes, la direction générale de la police a reçu la visite du ministre de tutelle qui a transmis ses ordres à la hiérarchie bleu marine : « surtout pas de mort ! » Cette consigne est confirmée par plusieurs sources. Deux réactions à cela : tout d’abord, le pouvoir est vraiment gonflé d’appeler au calme ses flics (du moins en apparence) quant on sait toutes les violences policières que nous avons subi depuis 18 mois en Grèce. Ensuite, on peut très bien comprendre la stratégie du gouvernement. Que Dimitris Koufontinas meure va lui poser un problème de « sécurité publique » (qui en réalité concerne uniquement le pouvoir et ses hommes de main), mais ne va pas forcément lui poser un problème en terme d’opinion publique. Car, même si toute la gauche s’oppose actuellement à l’acharnement de Mitsotakis contre le prisonnier révolutionnaire, il reste néanmoins un « terroriste » et un « assassin » aux yeux d’une partie de la population gavée de journal télévisé tous les soirs. De plus, les médias du pouvoir prétendent que sa mort imminente est une sorte de suicide narcissique, un caprice de prisonnier VIP, voire une attitude autoritaire, en renversant les rôles.

Par contre, si la police de Mitsotakis venait à tuer des activistes ou des manifestants, quel que soit leur âge, ce serait tout à coup une autre histoire. Le premier ministre le sait : en Grèce, des émeutes peuvent exploser rapidement, le noyau radical du mouvement social est puissant et une grande partie de la population est exaspérée et appauvrie par la situation actuelle. Si un autre jeune comme Alexis en 2008 était tué par la police aujourd’hui, que se passerait-il ? Ce gouvernement a déjà la réputation d’être très violent, le premier ministre d’être autoritaire et entouré de transfuges de l’extrême-droite, la police d’être truffée de néonazis qui parfois affichent leurs écussons facilement reconnaissables, si d’autres morts surviennent, on imagine aisément le tsunami politique et social que cela pourrait provoquer.

La police risque-t-elle de tuer malgré cette recommandation ? Oui, le risque est très fort. D’une part parce que le climat est très tendu. La répression est féroce depuis des lustres et ça ne cesse d’empirer. Les blessés se comptent par centaines sinon par milliers. D’autre part, les attaques contre des flics se multiplient parmi les formes de ripostes nocturnes, principalement à Athènes : commissariat de Kessariani incendié avant-hier soir, avec plusieurs flics qui ont échappé de justesse aux flammes d’après les images de la caméra de surveillance, patrouille de police attaquée à coups de cocktails Molotov hier soir à Zografou, etc. Et ça ne va pas aller en diminuant si Dimitris Koufontinas meurt.

De plus, le pouvoir suspecte une partie du mouvement social d’être actuellement en train de s’armer et de s’organiser pour riposter plus durement encore. La consigne a donc été donnée de surveiller au maximum les arsenaux militaires et les armureries de la police. Les services de renseignement prétendent que des militants révolutionnaires tentent actuellement de commettre des vols d’armes lourdes : roquettes, fusils à répétition, explosifs… Les médias de masse s’en font le relais pour inquiéter la population et lui donner l’impression que le pouvoir qui l’exploite la protège.

Les lieux de pouvoir sont également très surveillés partout en Grèce. C’est très visible, ostentatoire. Une liste de personnalités susceptibles d’être des cibles a été dressée pour des protections rapprochées, notamment des gradés de la police et de l’armée, des politiciens de droite et d’extrême-droite et, parait-il, plusieurs grands patrons. La distribution de gilets par-balles aurait déjà commencé.

Reste à savoir ce qui va vraiment se passer. Au vu de la stratégie du gouvernement, la mort imminente du gréviste de la faim et de la soif ne fait plus un doute. Et après ? Quelle sera la riposte du mouvement social ? Les hommes de main du pouvoir vont-il tuer ? 13 ans après les grandes émeutes de 2008 et 7 ans après celles de 2014, jusqu’où cela ira-t-il cette fois ?

Yannis Youlountas