Derrière les mots du pouvoir

 

Le piège politique dans lequel nous nous trouvons se situe d’abord au niveau des mots.

DERRIÈRE LES MOTS DU POUVOIR

Dans son livre 1984, George Orwell soulignait déjà la puissance de la manipulation au moyen de l’inversion du langage : « La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force ». Récemment, nous avons reparlé de cette inversion au sujet de l’anarchie (désordre absolu ou plus haute expression de l’ordre) et des anarchistes (égoïstes et je-m’en-foutistes ou, au contraire, pourvus d’un sens aigu de la liberté et de la responsabilité). Le gouvernement ne fait pas autre chose quand il attribue la responsabilité de la pandémie à une population soumise à ses caprices, angoissée par les médias, à la fois victime du covid19 dans l’exiguïté de son mode de vie et désorientée par les mesures arbitraires continuellement modifiées.

Tous ces pièges sont des obstacles à l’analyse critique et à la compréhension des situations. Des obstacles à la conscience politique des dominé-es et des exploité-es. Des obstacles qui inondent la société à tous les niveaux, à commencer par le flot de paroles creuses qui se déversent sans répit sur les chaînes d’info. Quotidiennement, la confusion brouille la réflexion, puisqu’on ne pense qu’avec les mots et que ces mots nous échappent : sélectionnés et redéfinis à l’envi par le pouvoir et ses valets.

Ainsi, à la moindre manifestation, c’est le même refrain, la même inversion des rôles, alors qu’on entend tous les commentateurs parler d’ordre et de paix civile. En réalité, qui casse quoi ? Qui pille quoi ? Qui met réellement en danger la vie d’autrui ?

Le pouvoir est un prédateur narcissique et pervers qui accuse de ses propres méfaits toutes celles et ceux qui lui résistent. Quand nous demandons du pain et du bon sens, il nous traite d’égoïstes et d’irresponsables. Quand nous refusons sa tyrannie, Il nous accuse de ne pas être démocrates. Quand nous réagissons à sa violence, il inverse pareillement les rôles. Non seulement, le pouvoir est le seul casseur et pilleur, mais, en plus, il fabrique des coupables à sa place qu’il punit lourdement.

Il n’y a pas de pire fléau sur Terre, pas de plus grande catastrophe qui ait frappé l’humanité, pas de plus terrible pandémie qui ne nous ait décimés par milliards depuis des millénaires, pas de pire virus ravageur que cette prétention délirante à vouloir décider pour autrui.

Nonobstant, puisque le pouvoir se joue des mots, prenons-le à son jeu : démasquons-le jusque dans sa définition même !

Le pouvoir est un nom, mais il est aussi un verbe. Et c’est là, précisément, dans la confusion entre ces deux homonymes, que se cache tout l’enjeu de notre époque : sortir enfin de la préhistoire politique de l’humanité.

Oui, le pouvoir est un nom : celui de l’autorité qui dirige, qui gouverne, qui exerce tout ou partie des droits d’une autre personne ou de toute une communauté et qui agit pour son compte. Mais pouvoir est aussi et surtout un verbe : il signifie tout simplement être en capacité de faire.

Passer du nom au verbe, tel est l’enjeu. Détruire le pouvoir en tant que rapport de domination pour libérer notre capacité à penser et à choisir nos vies.

Au terme de cette préhistoire politique qui n’a que trop duré, il est temps de sortir du vieux piège et de prendre, enfin, nos vies en mains.

Yannis Youlountas

 

(petite pensée pour les René Binamé)