Ni l’abstention ni le vote ne nous ôtent le droit de nous plaindre et de nous révolter !

Contre un double lieu commun à la fois de la gauche et de l’anarchisme.

NI L’ABSTENTION NI LE VOTE NE NOUS ÔTENT LE DROIT DE NOUS PLAINDRE ET DE NOUS RÉVOLTER !

Depuis des lustres, un vieil adage à gauche répète à qui mieux mieux, sur un ton très moralisateur : « Si tu ne votes pas, tu n’as pas le droit de te plaindre. »

Et depuis aussi longtemps, une autre vérité prétendument définitive délimite le domaine d’action des libertaires et des révolutionnaires : « Si tu votes, tu n’as pas le droit de te plaindre. »

Dans les deux cas, l’argument est le même : « Tu as causé le problème », soit en votant, soit en ne votant pas…

Et donc ? Donc tu payes, tu assumes, tu bats ta coulpe, tu te flagelles, tu te blâmes, tu te fustiges et tu te plies à toutes les conséquences.

Pardon ? Quand tu commets des erreurs dans ta vie quotidienne, tu n’essaies pas d’échapper aux conséquences, de chercher des solutions, de te débattre, de te défendre, de lutter bec et ongles ? Non ? Tu te soumets ? Tu te sacrifies passivement sur l’autel de l’erreur impardonnable, prêt pour le châtiment dernier ?

Mais quelle Bible avez vous lue, les uns comme les autres ? Quelle vérité dogmatique et sacrée me rabâchez-vous, vous que je croyais, de part et d’autres, plutôt anticléricaux et majoritairement agnostiques sinon athées ?

Côté anar, par exemple, devons-nous en conclure qu’en Grèce, les opprimés n’ont pas le droit de se plaindre s’ils ont voté Tsipras et qu’ils doivent dès lors accepter de souffrir en silence ? Vous vous rendez compte de l’absurdité de cette affirmation ? Non, bien sûr : en Grèce, les opprimés qui ont voté Tsipras, comme tous les autres opprimés, ont légitimement le droit de se plaindre et, pour beaucoup, ne se gênent pas pour le faire, parfois vivement et en ajoutant les actes à la parole.

C’est pareil dans tous les autres domaines de la vie :
– quand tu choisis de vivre en couple, si les choses se passent mal, tu as légitimement le droit de te plaindre ;
– quand tu fais un gosse, si les choses se passent mal, tu as légitimement le droit de manifester ton épuisement, ta tristesse et ton désir que les choses se passent autrement ;
– quand tu choisis un job, si les choses se passent mal, tu as légitimement le droit de te fâcher, seul ou avec d’autres, et de t’organiser pour riposter, qu’importe la durée du contrat.

Personnellement, comme je l’ai souvent écrit, je suis de toutes mes forces pour le dépassement de la pseudo démocratie représentative et je suis donc très circonspect sur le fait de continuer à voter en attendant que ledit système politique change. C’est logique puisque je suis anarchiste.

Mais, considérant, d’une part, l’état calamiteux de l’opinion par rapport à nos idées et, d’autre part, que s’enorgueillir d’avoir les mains pures (ou propres) peut conduire à laisser faire n’importe qui et n’importe quoi, il m’est parfois arrivé de voter, dans certaines circonstances. Et vous même, ça ne vous arrive jamais de vous salir les mains en vous forçant à faire un truc que vous n’avez pas envie de faire ? Jamais ? Par exemple, vous proposez autre chose à vos copains, vous leur dites : « ça serait mieux qu’on ose plutôt ceci ou cela », mais les voyant ajourner ce projet préférable (qui leur fait un peu peur ou qui leur semble innaccessible), vous ne les laissez pas pour autant tomber le moment venu, en panne sous la pluie, dans le cambouis et la boue. Quand ça veut pas, ça veut pas, comme on dit. Quand c’est pas le moment, c’est pas le moment. En attendant que ça veuille, pour ma part, j’ai du mal à laisser tomber les copains que j’essaye de convaincre d’aller plus loin et dont je comprends aussi les raisons, même si je les déplore. Tout comme j’ai du mal à y aller, quand j’y vais.

Dans les deux cas : vote ou abstention, selon les années, cela ne m’a jamais empêcher, le cas échéant, de continuer à lutter dès le lendemain, à descendre dans la rue, à participer à des actions ou à critiquer des personnes devenues pires encore que tout ce que j’imaginais.

C’est pourquoi l’affirmation « Si tu votes, tu n’as pas le droit de te plaindre » me paraît aussi absurde que l’affirmation contraire « Si tu t’abstiens, tu n’as pas le droit de te plaindre ».

Non, bien sûr : tu as toujours le droit de te plaindre. Quand tu souffres ou que tu vois souffrir autrui, tu as toujours le droit de te révolter.

Et c’est justement là notre principale force : quoi qu’il arrive, il nous reste toujours une carte à abattre, la plus belle et la plus puissante de toutes, celle qui se fiche des paperasses, des bulletins de vote, des sous, des titres de propriété et des trousseaux de clés, celle qu’on désire au plus profond de nous-mêmes : la révolution.

Y.Y.