LE SOUVERAINISME EN SLIP

Suite à mon texte « Le piège du souverainisme dans la débâcle grecque », voici quelques réponses à diverses questions ou remarques…

LE SOUVERAINISME EN SLIP

1 – A quoi reconnaît-on un homme politique souverainiste ?

a) Il se prétend le plus souvent « ni droite ni gauche » (comme la moitié des politiciens de droite, ce qui est parfois très drôle, par exemple quand il est démasqué par ses éléments de langage et autres marqueurs politiques).
b) Il est champion toutes catégories en retournement de veste (plusieurs CV sont accablants) et, le cas échéant, en abandon des promesses électorales (dernier exemple en date avec les « Grecs indépendants », principal parti souverainiste en Grèce, aussi appelé ANEL, qui soutient joyeusement l’austérité en échange d’un deuxième portefeuille ministériel, à la différence de Syriza qui est en crise et qui va scissionner) ;
c) Il se pose en « sauveur de la nation face aux instances supranationales » jugées seules responsables des maux qui s’abattent sur le pays ;
d) A ce titre, appelant au rassemblement tous azimuts autour de sa personne, il appelle à « ne pas se désunir » (union entre les classes dominantes et dominées au prétexte de la coexistence sur un même territoire, face à un ennemi commun, exactement comme en temps de guerre), à « éviter les conflits sociaux » (donc pas de lutte de classes) et à « faire les bons choix dans l’intérêt de tous » (car l’élu national du peuple souverain sait ce qui est bon pour « son peuple », même à son insu, et ne pense qu’à l’intérêt général en amalgamant toutes les situations sociales, même les plus antagonistes).

2 – Comment distinguer le souverainisme du nationalisme ?

En déplaçant « l’ennemi du peuple » au-delà des frontières (instances supranationales), le souverainisme procède exactement comme le nationalisme, à la différence que ce dernier vise plutôt les immigrés et/ou les pays voisins : dans les deux cas, il s’agit d’un détournement de la lutte essentielle qu’est la lutte de classes, principe fondamental de la vraie gauche et des mouvements révolutionnaires (chacun l’analysant et l’organisant à sa façon avec diverses conceptions de l’égalité et de la liberté).

3 – Que signifie le mot souverainisme ?

Attention aux abus de langage courants. Le souverainisme n’est pas un vague concept philosophique relatif à la souveraineté d’un sujet (individu ou collectif), c’est-à-dire à sa faculté de choisir, de disposer de lui-même. Le souverainisme est encore moins un synonyme de la démocratie au prétexte de la souveraineté d’un peuple (sous quelle forme ? à travers qui ?) et/ou de ses représentants (principalement issus des classes dominantes). Non, en réalité, comme son suffixe l’indique et comme son histoire le confirme, le souverainisme est une idéologie, rien de plus, c’est-à-dire un système d’idées politiques qui propose une interprétation du monde et des modes d’actions. En l’occurrence, le souverainisme est une idéologie simpliste et mensongère qui prétend, sans rire, que les maux qui s’abattent sur nous proviennent du manque de moyens (donc de pouvoir) de ceux qui prétendent nous gouverner. D’abord, c’est totalement faux : on peut toujours désobéir, à tous les niveaux (même Hollande « l’ennemi de la finance », Tsipras « le chasseur de la troïka », etc.), si on en a le désir, la volonté et le courage, et ce, dans tous les domaines (dette, traités, monnaie, répartition des richesses, etc.). Les preuves historiques ne manquent pas. Ensuite, c’est un détournement total de la lutte : de la « guerre sociale » (par exemple, on pourrait commencer par la réquisition des banques, l’occupation des terres, la multiplication des assemblées partout, y compris parmi les enfants, la transformation des structures hiérarchiques ou exécutives en collectifs horizontaux et autogérés, l’expropriation et la destruction de Vinci, Total, Bouygues, etc.) vers la « guerre nationale » (renforcement de la bourgeoisie nationale contre une supposée bourgeoisie supranationale ou celle d’un pays voisin, un peu comme une mobilisation générale sous l’égide de généraux mythifiés qui donneront leurs noms à des boulevards). Bref, le souverainisme est un subterfuge de la bourgeoisie pour conserver le pouvoir en promettant de l’utiliser autrement. Une roue de secours, au même titre que le fascisme.

4 – Comment expliquer les liens étroits entre les figures du souverainisme et du confusionnisme ?

Ce n’est pas un hasard si, en France comme ailleurs (au Royaume-Uni, par exemple, avec Nigel Farage et l’UKIP), le souverainisme pratique abondamment le confusionnisme* et entretient d’excellentes relations avec ses têtes de gondoles (axe Asselineau-Chouard, par exemple, comme auparavant Dupont Aignan-Marion Sigaut, etc.). Tout d’abord, l’idéologie souverainiste et le processus confusionniste ont en commun un simplisme stupéfiant (dans les deux sens du mot stupéfiant : effet de surprise produisant un choc et effet narcotique produisant une addiction) tant au niveau des causes que des solutions. Plus précisément, le souverainisme est dans l’analyse des solutions ce qu’est le confusionnisme dans l’analyse des causes : une diversion, un brouillage, un détournement. Dans un cas comme dans l’autre, en dépit de leurs relations parfois orageuses, ce sont des passerelles vers l’extrême-droite, et ce, avec un processus similaire*. D’autant plus que le souverainisme et le confusionnisme s’implantent aisément parmi les naïfs et les plus vulnérables, exactement comme des germes ou, pire, des virus (organismes très simples, creux et sans vie, basés sur la réplication et la répétition, d’ailleurs le mot virus vient du latin « poison ») qui se développent sur la base de lieux communs, de phrases toutes faites, de mélanges de références comme autant de masques, et de contresens répétés, tant au niveau des causes que des solutions, mais sans jamais remettre en question l’essentiel : les rapports de classes et de dominations qui altèrent la liberté et ruinent l’égalité. C’est ainsi que le souverainisme et le confusionnisme affaiblissent non seulement la vraie gauche, mais aussi les mouvements révolutionnaires dans leur diversité, en captant une partie de la révolte.

5 – Le souverainisme n’est-il pas une opposition louable au « mondialisme » ?

L’opposition mondialisme/souverainisme est un leurre, comme l’est l’opposition capitalisme/fascisme. Car, dans les deux cas, le premier nourrit le second, alors que le second consolide le premier (en détournant son opposition critique dans une impasse). C’est exactement une relation de parasitisme, au sens biologique, appliqué à un écosystème politique, qui relève également du commensalisme (la présence de l’un favorise celle de l’autre et réciproquement, notamment quant à leurs besoins pour se perpétuer simultanément sur un même territoire, d’où les termes vermine et charognard fort justement attribués au fascisme au sein de la société capitaliste dont il est le nécrophage, à chaque crise sociale). Le premier a besoin du second pour neutraliser toute opposition véritable, pour affaiblir l’organisation des persécutés et des insoumis, en orientant à contresens le mouvement social, en distillant de fausses causes et de fausses solutions. L’histoire l’a abondamment montré, d’un bout à l’autre du monde, c’est la même rengaine.

6 – Conclusion : un labyrinthe politique rempli d’impasses

Que répondre à tout cela ? Exactement le contraire : pas de paix entre les classes, pas de guerre entre les peuples, pas de leurre à Bruxelles ni ailleurs : nos tyrans sont en France, en Allemagne, en Grèce, en Espagne, aux Etats-Unis… partout. Et ils n’ont pas besoin des chemtrails, des illuminatis, des Juifs, des francs-maçons, des reptiliens, des musulmans, des technocrates ou des extra-terrestres pour nous exploiter. Pas contre, ils ont besoin de notre respect du chef et de la Loi, de l’ordre politique, économique et social. Ils ont besoin de notre envie de consommer et de nous divertir au point de nous abrutir et, plus encore, de notre peur du changement radical. Nos tyrans se régalent de nous voir confiner notre réflexion dans un cadre réducteur, tant politique que géographique, ce que produit le souverainisme, ou en nous détournant de l’analyse raisonnée au moyen de contrefeux illusoires, ce que produit le confusionnisme.

Le souverainisme et le confusionnisme ne sont donc pas des solutions : ils font partie du problème. Ce sont des mythes systémiques, des contes de fées politiques, comme le sont également, au sein de l’idéologie capitaliste :
a) la main invisible du marché (basé sur la croyance à l’autorégulation des échanges financiers) ;
b) le rejet de la coopération au profit de la compétition (basé sur la croyance à l’équivalence parfaite entre la somme des intérêts particuliers et l’intérêt général) ;
c) la théorie du ruissellement (basé sur la croyance aux bienfaits d’un enrichissement des plus riches qui serait, via la consommation, profitable à tous, jusqu’aux plus pauvres).

Tout cela n’est que spectacle dans les catacombes d’un monde qui se meurt.

Aujourd’hui, plus que jamais, nous sommes bien dans un labyrinthe politique rempli d’impasses. Nous n’avons pas de fil d’Ariane, c’est-à-dire ni solution toute faite ni guide providentiel. Mais, grâce à notre diversité, nous disposons de trois atouts majeurs : la pensée, l’expérience et la volonté.

Nos tyrans et leurs complices ont raison de se méfier, eux qui renforcent, chaque jour, leurs dispositifs contre nous : surveillance, répression, fabrique de l’opinion. Ils ont raison de se méfier, mais ça ne suffira pas.

Les mauvais jours finiront.

Yannis Youlountas

http://jeluttedoncjesuis.net

* Du confusionnisme à l’extrême-droite :
http://lahorde.samizdat.net/2015/05/22/devenir-fasciste-avec-la-confusion-cest-possible

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Photo : l’énarque Asselineau, un beau spécimen du souverainisme qui nous vend du « ni droite ni gauche » après avoir été le collaborateur des pires figures de la droite : le « patron du SAC » et « ami du FN » (Pasqua), et le « parrain de Paris » et « élu des morts » (Tibéri).