« Encore et encore »

Douce pensée depuis le pont d’un bateau qui nous emmène d’Héraklion à Athènes. Il est 4h du matin, tout le monde dort à poings fermés. Les sacs de couchages forment un petit cercle dans un coin tranquille. Dehors, le vent fouette mon visage, tandis que la pleine lune me rappelle qu’il y a toujours de la lumière quelque part, même au plus profond de la nuit…
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« ENCORE ET ENCORE » ❤️✊
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Ce dimanche matin, en arrivant au Pirée, je prendrai d’abord la route d’Ilioupoli, dans la banlieue Est d’Athènes, seul avec Achille. Nous irons rendre un dernier hommage à un oncle que j’aimais énormément. Un homme toujours bienveillant et attentionné, avec une forte conscience de classe face aux délires hautains et arrogants de ceux qui prétendent nous gouverner. Giorgos évoquait parfois le piège politique dans lequel nous sommes enfermés, tel un immense filet. Il était généreux, affectueux, courageux. Sa fille Eleni, ma cousine, était l’incarnation du drapeau rouge vif durant mon adolescence : elle était la première des révolutionnaires de la famille, suscitant l’étonnement des uns et les encouragements des autres, radicale et solidaire, tendre et vaillante à la fois. Mon cousin Stélios était, quant à lui, plus pessimiste. Parfois, il nous demandait : « comment faites-vous pour y croire, encore et encore ? »
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« Encore et encore… » Ces trois mots revenaient comme les vagues sur le rivage, comme les sourires sur nos visages, comme la succession des rides au fil de l’âge. Quarante ans plus tard, Stélios n’a finalement pas eu d’enfant, contrairement à nous autres, ballotés dans les tempêtes de l’existence. Un choix légitime et respectable, beaucoup plus courant aujourd’hui en Grèce qu’il y a 30 ans. Malheureusement, mon cousin se bat lui aussi contre la maladie, à son tour. Le temps s’écoule et s’enfuit comme le sang d’une plaie restée ouverte depuis la naissance.
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« Encore et encore », la vie va et vient, surgit avant de disparaitre, rugit puis expire, comme une immense palpitation à l’échelle de la planète toute entière. Et nous, nous de passage quelques années, au milieu de tout ça : tentant sans cesse l’impossible, persévérant dans l’adversité, essayant de toucher du doigt les étoiles…
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Une étoile noire pour moi. Rouge, verte ou mauve pour d’autres. Ou mieux encore : bicolore. Qu’importe le fétichisme des appartenances et les sempiternels désaccords, nous sommes ensemble sur le même bateau, avec un but commun : continuer la lutte contre le capitalisme et la société autoritaire, et la soutenir par toutes sortes de moyens, ici et ailleurs. Ce lundi, nous nous retrouverons une fois encore à Exarcheia pour agir et réfléchir, discuter et participer, poursuivre un élan solidaire qui n’a pas de frontières.
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La structure autogérée de santé du quartier et les principaux squats et collectifs sont bien vivants, surmontant les épreuves, « encore et encore », même si les bulldozers de l’État défoncent actuellement certains de nos symboles. Vivants parce que notre Histoire continue de s’écrire malgré tout, à Exarcheia comme ailleurs, et qu’elle est à tout jamais gravée dans nos mémoires sous toutes les formes. Vivants parce que la meilleure façon de riposter à cette société mortifère implique de montrer que nous pouvons vivre autrement, sans les formes archaïques et iniques qui nous étiolent et nous étouffent. Vivants parce que nous sommes résolument décidés à continuer tant qu’il le faudra, malgré la fatigue et la tentation de nous ranger en baissant la tête et en courbant le dos. Vivants parce que debout ensemble, contre vents et marées, « encore et encore ».
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À tribord, je commence à percevoir les lumières de l’Attique. Il est temps d’aller se préparer à descendre…
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Yannis Youlountas
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