Irene Papas, femme libre
IRENE PAPAS, FEMME LIBRE ★
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Je n’ai pas connu personnellement cette figure du cinéma grec, mais aussi du théâtre et de la chanson. Je l’ai juste croisée une fois, près de Corinthe, au début des années 2000. Une rencontre par hasard. Des regards qui se sont croisés. Un sourire inoubliable et rien d’autre.
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Mon souvenir d’Irène Papas se trouve surtout dans l’un des films qu’elle a sublimés : Zorba le Grec. Dans cette merveille de Nikos Kazantzakis adaptée par Michael Cacogiannis, elle incarne parfaitement la femme telle que je l’ai aperçue dans mon enfance en Grèce : une femme encore plus dominée qu’aujourd’hui sur la planète des hommes, notamment dans mon univers familial crétois.
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La scène du kaféneio sous la pluie, au sein duquel elle entre à la recherche de sa chèvre, est la plus emblématique de cette phallocratie rustre décrite par Kazantzakis dans son livre, avant qu’elle n’atteigne son paroxysme avec la vendetta lugubre et mortelle qui va suivre :
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La Crète, c’était ça aussi, autrefois, comme dans bien d’autres régions du monde, à toutes sortes d’époques. La Crète de la philoxenia (hospitalité) et de la kinotita (le vivre ensemble dans les villages) a aussi ses zones d’ombres et tragiques, comme toutes les sociétés humaines.
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Dans ce film où les hommes se cherchent entre la figure d’Apollon (Alan Bates) et de Dionysos (Antony Quin), les femmes ne sont qu’objets de désir et de convoitise : Mme Hortense dans sa villa, la jeune putain de la ville, la veuve qui rend fous tous les hommes du village…
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Alan Bates est choqué et désorienté, Anthony Quinn essaie de sauver la veuve de l’horreur qui l’attend… En vain ! Qu’on s’identifie en tant qu’homme à l’un ou à l’autre, on assiste impuissant à la tragédie grecque et à la destinée insensée qui s’abat sur le personnage d’Irene Papas : la veuve superbe est sacrifiée au pied d’un olivier centenaire, à deux pas d’une église indifférente, avec la collaboration silencieuse de la majorité du village. Qui ne dit mot consent. La tradition, l’usage, la coutume ont encore frappé dans un monde — en Grèce comme ailleurs — où longtemps il n’y avait que peu de place pour les façons de vivre différentes à l’écart des chemins communs tout tracés.
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La revanche sera prise à la fin du film, mais sans personnage féminin : Anthony Quinn va se noircir le visage, tel un bouc diabolique (le bouc de Dionysos étant devenu la figure du diable dans le Christianisme prude et ascétique) pour se moquer des moines et les effrayer, pendant que Alan Bates va progressivement se libérer de sa retenue pour accoucher d’une étoile qui danse (Kazantzakis inspiré par Nietzsche) dans une scène finale légendaire au bord de la mer à reprendre.
L’été grec est revenu. La pluie et les larmes se sont taries. Reste une société à réinventer et une phallocratie à achever définitivement.
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La communiste Irène Papas va s’opposer ouvertement à la dictature des Colonels, violente et réactionnaire, et sera condamnée à l’exil durant sept ans (durant lesquels elle jouera notamment dans le film Z de Costa Gavras avec Yves Montand). Elle vivra dès lors en femme libre, résolument, et participera grandement à l’évolution des meurs avec d’autres figures du féminisme en Grèce. Elle vivra de longues années seule, n’aura jamais d’enfant et connaitra plusieurs amours passionnés à commencer par sa longue et discrète liaison avec Marlon Brando.
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La veuve de Kazantzakis était morte libre, n’en déplaise aux hommes. Irène Papas aussi un demi-siècle plus tard.
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Yannis Youlountas
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