Le bras de fer à Exarcheia s’étend à toute la Grèce !
Nouveau point sur la situation en Grèce, où ça chauffe également. Faites passer.
LE BRAS DE FER À EXARCHEIA S’ÉTEND À TOUTE LA GRÈCE !
Depuis son arrivée au pouvoir, début juillet, le nouveau premier ministre grec faisait une fixation sur Exarcheia qu’il voulait « nettoyer » au plus vite. Dans sa ligne de mire : migrants, anarchistes et autres révolutionnaires, et leurs locaux pour la plupart squattés. Mais devant la résistance du quartier (qui s’organise de plus en plus au fil des mois, après un été laborieux) et sa volonté d’essaimer un peu partout pour ne pas se laisser nasser, c’est maintenant dans toute la Grèce que le gouvernement a décidé de frapper.
En parallèle du mouvement dans l’hexagone
Ce jeudi 5 décembre, pendant que la grève générale commencera en France (observée avec un grand intérêt depuis la Grèce), un autre événement important se produira simultanément à l’autre bout de l’Europe. En effet, ce 5 décembre sera aussi le terme d’un ultimatum de 15 jours lancé le 20 novembre dernier par le gouvernement grec contre tous les squats du pays. La Grèce, laboratoire du durcissement du capitalisme en Europe, devient désormais celui d’un contrôle social qui se veut total. Finies les zones d’autonomies, quelle que soit leur dimension et leur emplacement géographique. À partir de la semaine prochaine, la tolérance zéro sera appliquée contre tous les squats du pays, au nombre de 90 dont la moitié à Athènes et 7 à Thessalonique.
L’État attendra probablement quelques jours pour lancer la dernière phase de son plan d’évacuation des squats qui devrait durer jusqu’à Noël. Dans toute la Grèce, sans doute du 9 au 23 décembre, une véritable armada policière va tenter d’en finir avec les derniers lieux occupés et autogérés d’Exarcheia et dans les autres régions du pays.
Un mois de décembre décisif
Pourquoi attendre un peu, alors que l’ultimatum prend fin le 5 ? Parce que le pouvoir veut d’abord prendre le pouls de la mobilisation de demain dans toute la Grèce. La manifestation principale partira, à la tombée de la nuit, des Propylées sur la rue Panepistemiou à Athènes (à ne pas confondre avec les Propylées de l’Acropole si vous êtes sur place). Elle sera sans doute très nombreuse et particulièrement déterminée, avec pour slogans : « No pasaran ! », « Ne touchez pas aux squats ! », « La passion de la liberté est plus forte que toutes les chaînes ! » ou encore « 10, 100, 1000 squats ! ». On parle déjà d’une mobilisation historique, notamment en raison des soutiens qui se multiplient, mais c’est à confirmer jeudi. Le lendemain, vendredi 6 décembre, sera également une grande journée de mobilisation en Grèce, mais cette fois habituelle, puisque ce sera le onzième anniversaire de l’assassinat du jeune Alexis Grigoropoulos par un policier, le 6 décembre 2008 dans une ruelle d’Exarcheia. Cette seconde manif d’affilée visera donc la répression policière qui ne cesse de s’amplifier en Grèce depuis le retour de la droite au pouvoir.
Dans la préparation de la phase actuelle, période décisive durant laquelle beaucoup de choses vont se jouer, le 17 novembre dernier a été un jour déterminant. Ce jour-là, la torture est apparue au grand jour dans les rues du centre d’Athènes, au point laisser des flaques de sang autour de la place centrale d’Exarcheia dans les cris et les appels au secours. Depuis, ces images et ces sons ont fait le tour de la Grèce et parfois au-delà. Le masque du régime est tombé. Si certains membres du gouvernement sont des transfuges de l’extrême-droite (principalement du LAOS, parti réactionnaire, nationaliste et raciste), le gouvernement tout entier porte désormais la marque d’une droite extrême qui ne s’embarrasse plus de démentis ni de discours sirupeux. Les propos sur les migrants n’ont plus grand chose à envier à Aube Dorée et la haine des anarchistes et des gauchistes se montre au grand jour à coup de phrases qui rappellent les heures sombres du passé.
La droite fait capoter la séparation entre l’Église et l’État
Ce lundi 25 novembre, le nouveau parlement majoritairement de droite a rejeté le projet de séparation entre l’Église et l’État (loi sur la « neutralité religieuse de l’État »). Pourtant, le projet garantissait la reconnaissance de l’Église orthodoxe comme « religion dominante », mais ce n’était pas assez. Par contre, le délit de blasphème (supprimé par Tsipras l’année passée) n’a pas été rétabli, malgré la volonté de Mitsotakis. Les peines pouvaient aller jusqu’à deux ans de prison ! Pour l’instant, le nouveau gouvernement grec a préféré renoncer, mais va peut-être passer à l’acte l’année prochaine.
Si les derniers sondages ont vu disparaître totalement le parti Aube Dorée, qui n’est même plus quantifié (mélangé à une dizaine d’autres « micro partis » dans un total de « 1% : autres partis »), ce n’est pas un hasard : la promesse de Mitsotakis d’en finir avec les antifascistes et les migrants d’Exarcheia (évacuations des squats vers des camps fermés, amplification des expulsions vers la Turquie, répression des activistes) ont ravi une grosse partie des anciens électeurs du parti néonazi. Mitsotakis soigne son extrême-droite pour consolider son pouvoir et manier d’une main de maître sa police contre l’ennemi intérieur : « l’anti-Grèce », les « immigrés voleurs du travail des Grecs », les ouvriers engagés dans une riposte internationaliste « qui parlent de classes sociales au lieu de voir l’intérêt supérieur du pays », les chômeurs récemment qualifiés de « parasites » par un ministre (durant un copieux banquet), les révolutionnaires « ennemis de la démocratie » dont on prépare déjà les cellules en prison, le code pénal étant en cours de modification pour les punir plus sévèrement et réduire leur liberté d’expression.
Une dérive fasciste des démocraties libérales
Ce qui se passe en Grèce n’est rien d’autre que l’une des nombreuses formes de la dérive fasciste des démocraties libérales dans le monde. Car il n’est nul besoin que l’extrême-droite labellisée arrive au pouvoir : ses idées sont déjà là en grande partie, en Grèce comme en France, et cela se vérifie dans le traitement toujours plus violent dont font l’objet les opposants politiques, ainsi que les pauvres et les migrants. Passer à la tolérance zéro contre tous les squats de Grèce, au moyen d’une évacuation générale à grand renfort de communication, est une démonstration de force pour nous dissuader de résister et nous pousser à la résignation, entre colère et désespoir. Durcir la loi pour les utilisateurs de cocktails Molotov (de 5 à 10 ans de prison ferme) et classer parmi les organisations terroristes un collectif qui n’a causé que des dégâts matériels pour enrayer la violence dramatique des choix politiques du pouvoir (modification de l’article 187A du code pénal qui vise principalement Rouvikonas), c’est tenter également de faire taire toute rébellion.
Et ça continue ! Ces jours-ci, un nouveau projet de loi vise à limiter le droit de manifester et à interdire plus facilement les rassemblements (modification du décret législatif 794/1971 sur les réunions publiques, annoncé par Mitsotakis au dernier congrès de son parti, au prétexte d’empêcher les manifestations qui bloquent souvent le centre-ville d’Athènes). Pendant ce temps, les migrants sont déplacés des camps de Lesbos et Samos vers des îles désertes, loin des regards. Cela ne nous dit rien de bon non plus : il y a 50 ans, c’est sur l’île déserte de Makronissos, à l’ouest de mer Égée, tout près de l’Attique, qu’étaient concentrés les opposants politiques durant la dictature des Colonels, dans des conditions de vie déplorables provoquant fréquemment des morts.
Le vent de la révolte se lève
Mais alors, pourquoi le pouvoir devient-il de plus en plus autoritaire, en Grèce comme ailleurs ? Parce qu’en premier lieu, le capitalisme lui aussi ne cesse de se durcir : il creuse toujours plus les inégalités et saccage le bien commun au point d’anéantir la vie, jour après jour, mois après mois, provoquant en toute logique de nombreuses réactions d’un bout à l’autre du monde, même si elles sont très diverses. De Santiago du Chili à Hong-Kong et de Beyrouth à Djakarta, le vent de la révolte se lève, la colère gronde et des opprimés se soulèvent. À Athènes comme à Paris, le pouvoir s’en inquiète et renforce son arsenal contre sa propre population (LBD en France, voltigeurs en Grèce, recrutement et primes pour les policiers partout, arsenal juridique renforcé…). En dépit des apparences qu’il veut se donner, le pouvoir a peur, très peur. Tant le pouvoir politique que le pouvoir économique qui le détermine grâce à sa possession des moyens de fabriquer l’opinion. Le pouvoir est inquiet pour ses propres intérêts et sa position dominante dans une société fondée sur des chimères et un monde qui commence déjà à donner des signes d’effondrement. À l’allure où va le capitalisme, le temps de la vie sur Terre est compté. Il est donc logique qu’il en soit de même pour ses dirigeants. Des dirigeants qui tentent par tous les moyens de garder le cap vers le néant. Des dirigeants qui veut profiter jusqu’au bout de leur position et de leurs avantages, feignant de changer, multipliant les promesses, mettant en scène l’illusion de grandes décisions, repeignant en vert les usines opaques et le commerce insatiable, tout en ajoutant quelques mots de plus à la langue de bois.
Prendre nos vies en mains
En réalité, dans les temps à venir, le pouvoir sera d’autant plus violent que le monde se décomposera dans cette voie sans issue. Les guerres du pétrole, du gaz, du lithium ont déjà commencé sous nos yeux, dans un jeu morbide de chaises musicales, pour se partager les dernières parts d’un gâteau empoisonné. Seul un double changement, de système politique et de système économique, pourra stopper cela. Sortir du capitalisme et de la société autoritaire va de pair, puisque l’exploitation est directement la conséquence de la domination, sans laquelle il n’y a pas d’exploitation possible. D’un bout à l’autre du monde, dans l’ultime danse des fantômes sur les écrans, tels les ombres du mythe de la caverne, beaucoup d’esclaves modernes ont bien compris que le seul objectif désormais est de prendre nos vies en mains. Non plus seulement pour choisir nos vies, mais aussi pour les sauver. La trajectoire mortifère du capitalisme est indissociable de celle du pouvoir qui l’organise. Un pouvoir qui vise actuellement le contrôle total de nos vies, non seulement pour maximiser ses profits, mais aussi pour surveiller tout ce qui peut menacer son édifice.
« Parler de révolution, c’est faire l’apologie du terrorisme »
En Grèce comme en France, le mot « sécurité » est sur toutes les lèvres. Le gouvernement a baptisé son opération « Loi et ordre » contre toutes les formes de résistance et tous les lieux qu’elles occupent. Jour après jour, morceau par morceau, la parole révolutionnaire va devenir hors-la-loi et la seule expression acceptable reviendra à passer sous les fourches caudines du filtre parlementaire. « Vous voulez changer la société ? Vous n’avez qu’à voter, un point c’est tout » a répondu l’un des ministres concernés, aussitôt soutenu par deux journalistes aux ordres qui buvaient ses paroles en prime-time. « Parler de révolution [sociale], c’est faire l’apologie de la violence, l’apologie du terrorisme. En démocratie, il y a des moyens à la disposition de tous pour faire évoluer la société. Il faut les utiliser ou bien se taire ! » La démocratie représentative se présente comme le seul horizon possible, au cœur du spectacle médiatique façonné à coup de millions d’euros sous le contrôle de la classe dominante. Une classe frappée par des scandales à répétition. Une classe dont l’un des porte-parole, Christos Staikouras, ministre des finances de Mitsotakis, a osé déclarer que « vivre avec 500 euros par mois en Grèce, c’est faire partie de la classe moyenne » (jeudi 27 novembre à la tribune du parlement, durant la présentation du budget 2020).
Si le gouvernement grec s’est braqué aussi brutalement le 20 novembre dernier, en posant son ultimatum contre tous les squats du pays, c’est également parce que la mobilisation commence à l’inquiéter et qu’il veut « en finir au plus vite ». Une mobilisation sous diverses formes, dans un contexte mondial agité. Non seulement la manifestation du 17 novembre (date anniversaire de l’insurrection contre la dictature des Colonels en 1973) a été la plus nombreuse de ces dernières années, mais d’autres types d’actions montent actuellement en puissance et c’est précisément ce que veut endiguer le pouvoir. Parmi celles-ci, il y a évidemment le cas de Rouvikonas, l’un des principaux sujets évoqués par l’entourage de Mitsotakis.
Rouvikonas se renforce
Les 2 et 3 novembre dernier, lors de ses « deux journées d’ouverture » au théâtre autogéré Embros (centre d’Athènes), le groupe Rouvikonas s’est considérablement renforcé. Non seulement, en quantité, c’est-à-dire en nombre de membres, mais aussi et surtout dans le secret des appartenances rendant encore plus difficile la tâche des services de renseignements de surveiller et d’anticiper les actions menées par le groupe presque quotidiennement. La conséquence a été immédiate. Dès le 17 novembre, pendant les rassemblements et manifestations, Rouvikonas a battu tous les records en frappant à 5 endroits de la capitale simultanément. Deux de ces attaques visaient des firmes s’appropriant le bien commun (alors que le gouvernement accélère la privatisation du gaz et de l’électricité), deux autres visaient des patrons maltraitant leurs ouvriers (une mairie et une usine en banlieue d’Athènes, où les accidents de travail se multiplient) et la cinquième attaque visait le domicile du ministre de l’économie en personne. Tout ça dans la même journée. La réaction du premier ministre n’a pas tardé, fulminant et vengeur, mais sans rien annoncer jusque-là.
Tsipras énerve Mitsotakis
Pour ne rien arranger, Tsipras, désormais dans l’opposition parlementaire et visiblement candidat à la succession de Mitsotakis, en a profité pour se moquer du gouvernement, suite aux 5 actions de Rouvikonas le 17 novembre. C’est précisément le 19 novembre, sur la chaîne Open News, rapidement relayée par d’autres, qu’il a évoqué Mitsotakis en ces termes : « Tiens donc ? Rouvikonas existe encore ? N’avait-il pas dit qu’en moins d’une semaine après les élections tous les membres de Rouvikonas seraient tous en prison ? N’avait-il pas annoncé qu’il les arrêterait ? » Ce tacle médiatique a aussitôt circulé, même parmi ceux qui ne veulent plus entendre parler de Tsipras, tant le ridicule était grand pour Mitsotakis.
Dès le lendemain, mercredi 20 novembre, la nouvelle tombait : le gouvernement Mitsotakis annonçait un ultimatum contre tous les squats de Grèce et non plus seulement ceux d’Exarcheia et l’un de ses porte-parole promettait que le K*Vox, base du groupe Rouvikonas, serait parmi les premiers lieux évacués.
Squats toujours !
Côté squats, la réaction a été immédiate. Partout en Grèce les mobilisations se sont multipliées. En Crète par exemple, pendant qu’Evaggelismo(1), le plus grand squat d’Heraklion, menait plusieurs actions dans la préfecture, un autre squat historique basé à Chania sous le nom de Rosa Nera occupait, avec des banderoles, le plateau de la principale chaîne de télévision de l’île, le 21 novembre à l’heure du JT. Dans le nord de la Grèce également, les actions n’ont pas manqué, de Thessalonique à Alexandroupoli (à la frontière de la Turquie).
À Exarcheia, les 16 squats qui subsistent (après une douzaine d’évacuations) n’ont pas du tout stoppé leurs activités, bien au contraire : projections de films (Notara 26), concerts (K*Vox), rencontres-débats, animations pour les enfants (Lelas Karagianni 37, l’un des plus vieux squats d’Exarcheia ouvert en 1988), formation aux premiers secours en cas d’attaque chimique (ce soir, par la structure autogérée de santé d’Exarcheia), ainsi que des rassemblements et d’autres initiatives qui ne peuvent pas s’écrire ici. Non, les squats ne se laissent pas impressionner par la promesse du pouvoir de les anéantir dans quelques jours. Ils cultivent aussi leur mémoire. À Notara 26 par exemple, les résidents et solidaires sont en train de consigner leurs souvenirs. Si vous comprenez l’anglais, je vous conseille cette lecture(2)(3).
D’où viennent les squats d’Exarcheia ?
Pour bien comprendre la situation actuelle, il faut également savoir qu’en Grèce, malgré l’importance du réseau de squats en proportion du nombre d’habitants, il n’existe pas de cadre législatif qui garantisse les droits d’occupation, contrairement aux principaux pays d’Europe occidentale. Depuis l’ouverture du premier squat dans le pays, déjà à Exarcheia, (en octobre 1981 au numéro 42 de la rue Valtetsiou), les squatters n’ont jamais accepté de négocier avec les institutions. Pourquoi ? Parce que leur but premier n’était pas de trouver un logement, mais de trouver un moyen de rompre avec le pouvoir : l’État, le Capital, la société de consommation, sans oublier le poids des traditions réactionnaires qui pesaient beaucoup dans la Grèce des années 80-90 (patriarcat, homophobie, cléricalisme…). La multiplication des squats en Grèce n’a vraiment commencé qu’à l’automne 1985, en parallèle d’un mouvement social qui s’intensifiait. L’Anarchisme était en plein essor. Le parti socialiste grec (PASOK) ne cessait de trahir ses promesses, au pouvoir depuis 4 ans. Le KKE pâtissait des révélations sur les conditions de vie à l’Est, puis de la chute du mur de Berlin. L’époque était à l’autonomie, à la quête de liberté individuelle et sociale, au projet d’une société anti-autoritaire remettant totalement en question la démocratie parlementaire (qu’on surnomme en Grèce « démocratie anglaise »). Le rock puis le punk accompagnaient ce mouvement, sans pour autant rompre avec le rébétiko. Nicolas Asimos, Dimitris Poulikakos(4) et Katerina Gogou figuraient parmi les noms des poètes et chanteurs de ces années-là, au berceau d’Exarcheia en tant que quartier rebelle, créatif et solidaire. Un quartier « anartiste », depuis lors partagé entre l’envie de se laisser vivre et la volonté farouche de lutter.
Exarcheia, futur Montmartre d’Athènes ?
Lundi soir, une manifestation du Front social d’Exarcheia, composante la plus modérée du mouvement, s’est rendue devant la mairie d’Athènes qui était en pleine réunion du conseil municipal. Accueillis par des dizaines de policiers anti-émeutes, les manifestants n’ont pas obtenu la possibilité de transmettre les motifs de leur désaccord. Le maire d’Athènes, neveu du premier ministre, a refusé de les recevoir et a demandé des renforts à la police. Principal slogan du Front social : « Exarcheia est à ses résidents et aux mouvements sociaux, pas aux flics, aux mafias de la drogue ni aux investisseurs immobiliers. » Le but actuel du pouvoir est de gentrifier le quartier, chose qui a commencé, et de le transformer en quartier chic et bobo. Une sorte de « Montmartre à Athènes » aurait dit le nouveau maire de la capitale, comparant la colline de Strefi (point culminant d’Exarcheia) à la butte rouge de Paris. Et après ? Une église orthodoxe sera-t-elle bâtie au sommet de la colline d’Exarcheia pour expier les pêchés des révolutionnaires du quartier ?
Hier matin, Démosthène Pakos, l’un des représentants du syndicat des policiers, a annoncé que « Exarcheia sera complètement détruit si les MAT (CRS) sont enfin autorisés à faire ce qu’ils ont à faire ». Visiblement, il est très impatient. Pourtant, depuis des semaines, les violences sont déjà quotidiennes dans le quartier quadrillé par les postes de surveillance en kaki et bleu marine : harcèlement, insultes, menaces, coups et même scènes de torture, comme ce fut le cas pour un camarade de Rouvikonas prénommé Lambros, trainé puis dénudé dans la rue Bouboulinas il y a deux semaines. Malgré les photos et preuves de ce qui s’est passé, Lambros a finalement décidé de ne pas porter plainte contre les policiers : « D’une part, je n’attends rien de la justice bourgeoise à laquelle je ne veux pas faire appel et, d’autre part, les premiers responsables ne sont pas les flics qui m’ont frappé, mais le pouvoir qui les dresse à nous attaquer ainsi que la classe dominante qui nous maintient dans cette situation. Ceux sont eux mes premiers ennemis, pas les brutes minables qui travaillent pour eux. »
Une période très difficile
En ce mois de décembre périlleux, le groupe Rouvikonas va, en plus, devoir faire face à beaucoup de procès. Ce jeudi : procès d’un membre pour une action dans les bureaux d’un député du parti de droite au pouvoir. Mardi 10 décembre : procès de 10 membres à Nauplie pour une action sur un péage. Mercredi 11 décembre : procès de 8 membres à Syros pour une action à Tinos suite à la mort de deux ouvriers dans des conditions de travail horribles. Mercredi 18 décembre : procès de plusieurs dizaines de membres à Athènes pour une occupation de l’ambassade d’Espagne en solidarité avec les victimes de la répression en Catalogne. Dans les semaines à venir, les peines de prison et les amendes risquent de pleuvoir. On attend avec inquiétude mais détermination les verdicts. De plus, le groupe a annoncé une riposte magistrale et rapide en cas d’évacuation du K*Vox, parlant de « casus belli » (déclaration de guerre). Un peu partout en Grèce, d’autres groupes ont également l’intention d’agir en représailles des évacuations annoncées. Ça risque de chauffer et pas à cause du feu dans la cheminée. Ce 25 décembre, le Père Noël sera probablement rouge et noir avec des cadeaux par milliers.
Parmi les collectifs solidaires qui squattent dans le quartier, la structure autogérée de santé d’Exarcheia (ADYE) n’est pas décidée à mettre la clé sous la porte, mais à continuer jusqu’au bout à soigner les personnes gratuitement, quelle que soit leur couleur de peau. Qu’importe le matériel et les stocks de médicaments qui seront saisis par la police : « ce sera une honte pour le pouvoir, s’il ose aller jusque-là ». Une fois encore, l’État ne veut pas que nous prenions nos affaires en main dans l’autogestion, excepté quand il s’agit des intérêts de grosses firmes qui profitent, par exemple, de la privatisation de la santé. Mais dans ce cas, ce n’est ni gratuit ni autogéré, et c’est pire encore pour les plus précaires. Pour en savoir plus sur la structure autogérée de santé d’Exarcheia, un camarade venu des États-Unis a créé une petite bande-dessinée pour la présenter(5).
La mémoire des murs
Ces derniers jours, les services de la voirie d’Athènes, escortés par des policiers, essaient par tous les moyens d’effacer la mémoire d’Exarcheia : ses nombreux tags et graffitis sur des kilomètres de murs. C’est une chose terrible pour nous, avec Maud, qui consignons cette mémoire du quartier depuis 11 ans(6). Au centre de la place, la bataille de la statue fait rage : la mairie ne cesse de la faire nettoyer et les militants de la taguer à nouveau (parfois avec des menaces contre le maire lui-même), au point de la peindre entièrement de rouge sang (pour symboliser les violences policières dans le quartier). Même le marbre a été changé plusieurs fois, en vain : les révoltés d’Exarcheia ne veulent pas du blanc impeccable, traditionnel et froid façon Parthénon, mais de la vie, de la couleur, du feu, de la rage.
Surveillance made in France
Autre échec, cette fois de la police : l’un des deux drones qui surveillent les rues et les terrasses au-dessus du quartier vient de connaitre un accident malencontreux ce matin . Depuis, les réseaux sociaux s’en donnent à cœur joie, avec des comparaisons plus drôles les unes que les autres pour se moquer de l’équipement et des compétences de la police grecque.
Idem pour un véhicule banalisé qui a été repéré avec une caméra qui filmait en cachette l’un des lieux militants du quartier : elle a déguerpi très vite, avec l’appui d’une escorte casquée venue aussitôt la rejoindre, au moment décisif. Des micros ont également été retrouvé chez un camarade, ainsi que du matériel de repérage par GPS (GPS tracker) caché dans plusieurs véhicules de militants du quartier pour les suivre à la trace, mais tout de même trouvés, y compris sur des motos.
Les téléphones chauffent en ce moment. Les ordis dysfonctionnent. Les batteries se déchargent très vite. La surveillance made in France a bien été livrée.
Solidarité internationale
Alors que la lutte s’étend partout dans le monde, la solidarité n’est pas un vain mot. On parle d’Exarcheia sur les banderoles de Santiago du Chili et de Hong Kong, et inversement. Une manifestation avait lieu récemment pour soutenir nos camarades chiliens. Plusieurs actions ont eu lieu, depuis un an, pour soutenir les luttes en France depuis la Grèce, notamment à l’initiative de Rouvikonas (ambassade de France, consulat de France…).
Dans le même temps, les actions de solidarité avec Exarcheia continuent dans l’hexagone. Aujourd’hui, mes camarades grecs et migrants ont été touchés par l’annonce d’une nouvelle initiative à l’ambassade de Grèce à Paris(7). L’une des banderoles était en français et l’autre en grec. Elles disaient l’une et l’autre : « Le gouvernement fasciste grec construit des camps fermés pour les réfugiés, torture les activistes et expulse les squats. Solidarité sans frontières et boycott du tourisme en Grèce ! » Il est vrai que l’économie grecque repose beaucoup sur le tourisme. La menace du boycott en 2020 sera-t-elle suffisante pour que les dirigeants économiques et politiques grecs retiennent leurs coups ? En tout cas, nous sommes très émus de ces encouragements à « tenir bon » qui nous arrivent de partout. Et réciproquement, mes camarades vous souhaitent le meilleur pour ce 5 décembre et les jours prochains, puisque l’enjeu est de poursuivre et d’amplifier la mobilisation.
De passage en France
Pour ma part, après 8 mois presque continus en Grèce, je viens de rentrer en France pour quelques jours, avant de repartir. Je suis en pleine préparation du prochain film, notre quatrième, qui aura pour titre : « Nous n’avons pas peur des ruines ! » Si vous voulez en savoir plus et, éventuellement, nous aider à le produire, c’est ici :
http://lamouretlarevolution.net/spip.php?rubrique15
Un nouveau point sur le financement du film sera bientôt publié. La dernière fois, nous étions à 22% du budget nécessaire. Actuellement, nous sommes à un tiers environ.
Ma présence dans l’hexagone, avant de repartir, me donne l’occasion d’apporter directement des nouvelles de Grèce et de discuter avec vous lors de projections-débats de L’Amour et la Révolution (nouvelle version). Il y en aura deux dans les prochains jours : le 12 décembre à Aurillac dans le Cantal (centre Hélitas à 19h30), puis le 18 décembre à Martigues, près de Marseille (on vous réserve une grande surprise !).
Pendant ma brève absence, plusieurs camarades du dernier convoi se relaient à Exarcheia. C’est une véritable rotation des solidaires ! L’un d’entre eux vient de quitter Paris avec une valise en plus : remplie de lait infantile pour les bébés qui n’en n’avaient plus au Notara 26, suite à une collecte « éclair » dans Paname. De l’argent a également été transmis aux collectifs les plus en difficultés, suite à des actions, concerts et projections, d’Albi à Bruxelles et de Nantes à Strasbourg. Preuve, une fois de plus, que nous sommes capables d’autres choses que cette société égoïste, triste et mortifère.
Cette révolte qui est en nous, c’est notre amour de la vie. Une vie ensemble autrement : libres et égaux. Une vie qui est à portée de la main si nous osons aller la chercher.
Courage à toutes et tous. Tenez bon.
Yannis Youlountas