Lettre ouverte à Alexis Tsipras et à son gouvernement

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Un excellent texte qui circule beaucoup en Grèce ces jours-ci, écrit par quelques uns des expulsés de Thessalonique, dont Niki Dimitriadi et Grigoris Tsilimantos :

« LETTRE OUVERTE À ALEXIS TSIPRAS ET À SON GOUVERNEMENT

A l’aube du 27 Juillet, vous et votre gouvernement avez fait envahir trois squats qui accueillaient des réfugiés et des migrants à Thessalonique. Dans le même temps vous avez arrêté 75 militants solidaires grecs et européens, tandis que vous avez envoyé les réfugiés ainsi expulsés dans des « camps d’hébergement », dont certains ne les ont pas acceptés parce qu’ils étaient déjà trop bondés. Ainsi, vous avez finalement laissé en plan les réfugiés, sans aucune solution ni abri.

Parce que les squats ORFANOTROFEIO (Orphelinat) et HURRIYA ont leur propre voix politique, nous nous adressons à vous en tant que squat LEOFOROS NIKIS 39 (squat du 39 avenue de la victoire), pour vous rappeler certains faits établis que vous connaissez déjà.

Le squat LEOFOROS NIKIS 39 est né lors de la révolte de décembre 2008 et il a été le premier squat issus de ce mouvement politique abritant des gens en proie à des problèmes de logement. Dans ce cadre, il revendiquait, en s’installant dans un bâtiment abandonné, de pouvoir assurer un niveau de vie décent à ceux qui y participaient, redonnant de la valeur et du sens à la notion d’espace public. Pour cette raison, il a accueilli pendant toutes ces années des centaines de militants et de manifestants, venus non seulement de Grèce, mais aussi du monde entier.

Lorsque la crise des réfugiés s’est déclarée, il a ouvert ses portes pour accueillir les plus vulnérables d’entre eux, les familles avec des enfants, dans un esprit de cohabitation équitable et solidaire. Dans le même temps, le squat a adhéré à un système de soins médicaux et de soutien alimentaire créé dès le début autour du campement improvisé d’Eidomeni.

C’est à ces gens vulnérables qu’à l’aube du mercredi 27 Juillet, vous avez imposé le cauchemar qu’ils avaient essayé d’éviter en traversant au péril de leur vie la mer Egée, comme des milliers d’autres. Avant votre élection, nous avions annoncé l’enfer que serait votre accession au pouvoir, un enfer dont vous portez désormais la responsabilité faute de pouvoir vous en échapper.

Imbibé par l’étatisme et la soif de gouverner, vous reproduisez toutes les horreurs de la politique traditionnelle, faute de pouvoir créer quelque chose de nouveau. L’Etat ne pouvant être refondé (comme Caramanlis en a, lui aussi, fait l’expérience), non seulement vous n’avez pas réussi à le contenir mais c’est vous qui êtes désormais conquis par lui, dans cet état d’urgence en régime d’exception. La devise « À gauche pour la première fois » se vérifie, non pas de la façon dont vous vous en vantez en fanfaronnant à l’étranger, mais à la façon dont nous la vivons au quotidien.

Tout ce que l’aile droite n’avait pas osé, vous vous êtes engagé à l’appliquer scrupuleusement tout en vous confondant en excuses. Non seulement vous êtes « chaque mot de la constitution », mais vous évoluez à grande vitesse pour devenir « chaque mot de la loi et du maintien de l’ordre ».

Dans vos choix, vous avez trouvé de nombreux complices et alliés. Suite à votre position favorable à la frontière barbelée d’Evros, à votre reconnaissance de la Turquie en tant que « pays sûr », à votre gestion gouvernementale de la crise des réfugiés selon une logique de camps de détention, liquidant Idomeni pour le reproduire partout en pire, vous avez finalement libéré la voie, non pas pour la gauche, mais pour les discours ultra-conservateurs d’extrême-droite.

Boutaris, Kaminis, la direction de l’Université de Thessalonique et l’Eglise se sont alignés comme un seul homme derrière vous pour vous soutenir.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois. Nous vous avions déjà vus sur les mêmes positions lors de votre guerre contre les collectifs solidaires en plein milieu de la crise des réfugiés. À l’époque, vous aviez compris que la solidarité prenait des formes qui vous dépassaient totalement, vous, l’Etat et les ONG, et vous étiez brutalement passés de la tolérance à l’hostilité et la répression. Depuis, les maladies et la mort se sont répandues dans les structures « d’accueil » gouvernementales. Malgré la mort de cette jeune fille de 27 ans(1) dans le camp de détention SOFTEX, vous ne voulez toujours pas comprendre ?

Nous avons bien compris que la destruction et la dispersion des squats solidaires était la réponse de l’État grec au festival « No Border ». Nous savons aussi que vous voulez institutionnaliser et étatiser la solidarité selon une logique de camps militaires, et c’est pourquoi vous avez placé un invraisemblable caporal (Nikos Toskas, ancien général en retraite, promu ministre de l’ordre public et de la protection des citoyens) pour nous faire la morale. Mais ce que vous semblez ignorer, c’est que nous ne sommes ni des romantiques ni des rebelles de salon.

L’autogestion et ses structures, la solidarité participative et égalitaire pour un monde ouvert à la diversité, la démocratie directe, la justice sociale et la lutte contre l’autoritarisme, constituent un ensemble d’expériences vécues incontournables qui se dresse résolument en face de vous.

Rendez-vous dans les rues, que ça vous plaise ou non.

PS : que dire des politiciens qui se transforment en serviteurs de la « logique pragmatique » du pouvoir ?

Pour le squat LEOFOROS NIKIS 39
Mihalis Haritelis
Odysseas Dermatas
Sandra Crochet
Dionisis Koutloglou
Grigoris Tsilimantos
Nikos Hatzis
Niki Dimitriadi
Anna Karageorgiou
Xanthi Parashidou
Olga Papadimitriou
Mihalis Vlahos
Markos Proveleggios
Vasilis Papadopoulos »

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(grand merci Marie-Laure Coulmin Koutsaftis et Constant Kaimakis pour la traduction 🙂 désolé, mais je ne touche pas terre ces jours-ci)

Version grecque :
http://akthess.blogspot.fr/2016/08/blog-post.html
Version anglaise :
https://noborder.beyondeurope.net/open-letter-to-alexis-tsipras-and-his-government/

(1) Sur la mort d’Azaz Ragda dans le camp Softex de Thessalonique :
http://blogyy.net/2016/07/29/tsipras-la-honte/

APPEL URGENT À LA SOLIDARITÉ DES CAMARADES DE THESSALONIQUE (dont Niki et Grigoris, co-signataires de cette lettre ouverte) : http://jeluttedoncjesuis.net/spip.php?rubrique16