Avoir 15 ans dans un monde comme le nôtre

AVOIR 15 ANS DANS UN MONDE COMME LE NÔTRE

Achille a 15 ans aujourd’hui. Il n’a pas souhaité fêter son anniversaire : ni invitations ni cadeaux. « On verra une autre année ». Il est toujours aussi drôle, insoumis, solidaire, passionné, mais je le vois s’interroger de plus en plus sur les actes, les attitudes, les dérives ou encore les reniements de certains humains. Il me questionne souvent sur les racines de mon optimisme, malgré les épreuves, les déceptions et les mauvaises nouvelles qui nous arrivent du monde entier. Nous discutons quotidiennement. Parfois, il monte dans la voiture avec moi juste pour parler d’un sujet sur le trajet. Achille est très demandeur depuis quelques mois, encore plus que par le passé. Il m’accompagne souvent dans mes ateliers philo avec des enfants ou des adolescents, séances durant lesquelles je l’observe gratter des pages entières de notes dans ses carnets, depuis l’extérieur du cercle où il préfère s’asseoir.

Je suppose qu’il n’est pas facile d’avoir 15 ans dans un monde comme le nôtre, surtout quand on a déjà une certaine conscience politique et qu’on s’intéresse de près aux informations et à leur analyse. La lucidité n’est pas un cadeau. Surtout quand on désire changer le monde, mais qu’on le voit plutôt s’enfoncer dans les pires répétitions. Achille fréquente plus les adultes que les jeunes de son âge, surtout quand il observe des « attitudes superficielles et narcissiques », dans les conversations et dans les activités qu’il trouve « sans intérêt ». Il préfère plonger avec passion dans l’histoire et la géographie, quelle que soit l’époque et le lieu, écouter des musiques différentes (aujourd’hui, c’était surtout Léo Ferré), donner un coup de main pour toutes sortes de choses (il est très solidaire) et terminer ses journées dans les bras de son chat.

Sa force, c’est son humour : il tourne en dérision la société absurde dans laquelle nous vivons et il aime beaucoup les artistes qui osent le faire, en utilisant toutes les formes possibles. Il aime la subversion, le franc-parler, l’humour noir et décalé, la poésie et la chanson critique, le cinéma engagé, et il porte en haute estime les rebelles, par exemple son amie Pia Klemp, Guillaume Meurice ou encore les membres du groupe Rouvikonas et tant d’autres.

C’est d’abord pour les jeunes comme Achille que je suis décidé à ne rien lâcher. Tous ces adolescents et jeunes adultes qui s’interrogent, qui se demandent si changer le monde est encore possible et qui n’ont pas envie de faire l’autruche (désolé pour ces volatiles) afin d’oublier une réalité insupportable.

Et si la seule façon de rendre le monde supportable, c’était de vivre debout, créer librement et lutter ensemble ?

Merci à Achille et à tous les autres jeunes qui n’ont pas envie de baisser les bras.