MARCHER VERS L’UTOPIE, C’EST AVANCER LES PIEDS SUR TERRE ET LA TÊTE DANS LES ÉTOILES

Précision 18 mois plus tard : ce texte a été écrit et envoyé depuis la Grèce, le 20 juin 2015, en pleine bataille contre les dirigeants européens, deux semaines avant le référendum du 5 juillet 2015, puis la capitulation de Tsipras le 13 juillet 2015. Le matin même, je venais de discuter longuement avec Eric Toussaint à Athènes. Le temps était suspendu et il n’était pas question pour moi de laisser faire, d’attendre ni d’espérer. Agir, diversement, mais agir. Essayer. Observer. Proposer. Ne pas rester dans son coin quand une occasion semble possible. Qu’importe si on échoue. 18 mois plus tard, soyons clairs : je ne regrette en rien d’avoir essayé. « Celui qui combat peut perdre, celui qui ne combat pas a déjà perdu » (Brecht). Libertaire, avant toute autre chose, signifie être libre.


« Il y a 15 jours, je répondais, sur Facebook, à un compagnon libertaire perplexe devant mon implication dans la crise politique en Grèce. Comme la même question m’est à nouveau posé depuis hier, revoilà ma réponse :

RÉPONSE À UN COMPAGNON LIBERTAIRE PERPLEXE DEVANT MON IMPLICATION DANS LA CRISE POLITIQUE EN GRÈCE.

Cher Jacques, l’anarchie est également mon horizon politique et, tu le sais, j’agis quotidiennement dans ce sens*, mais je doute que, dès demain matin, d’un coup de baguette magique, on puisse miraculeusement raser gratis, se nourrir, se soigner, dans une Grèce dévastée et très dépendante. Tout ça, juste en claquant des doigts et en taguant des A cerclés sur les murs.

Je ne crois pas aux miracles. Et, surtout, je ne jouerai pas avec le feu et la vie de 11 millions de personnes dont environ 300 000 qui sont en grande précarité, donc en danger de mort. 300 000 personnes qui ont déjà reçu 200 millions d’euros d’aides financières de ce gouvernement qui est tout de même, pour l’instant, différent du précédent, plus de l’eau et de l’électricité gratuite ou à prix symbolique, malgré la quasi-faillite financière, les caisses vides et la violence incessante de la BCE, là où le gouvernement français fait exactement l’inverse.

Je vois ce qui n’est pas fait, Jacques, mais je vois aussi ce qui est fait, en attendant mieux, beaucoup mieux. Et aucune idéologie ne me dictera ce que je dois voir ou occulter. J’évalue et choisis d’agir en situation et j’analyse également les raisons, les processus, au-delà de nos montagnes de préjugés qui nous éloignent souvent des réalités.

D’autre part, pour avancer vers l’utopie, il ne suffit pas de renverser le pouvoir, quel qu’il soit, mais il faut aussi et surtout renverser nos manières de penser et d’agir, c’est-à-dire notre imaginaire social. Et cela nécessite un travail d’éducation populaire et de formation politique, des débats, des convergences de luttes, des synergies et des rencontres au-delà du cadre des convaincus.

De plus, même si mon utopie est libertaire, je n’affirme pas détenir toute la vérité et mes camarades de la « vraie gauche » ou mes amis « écologistes » ne sont pas a priori plus bêtes que toi et moi. C’est donc également une affaire d’humilité que de se mêler à certaines luttes importantes, sans faire bande à part ni regarder de haut ceux qui relèvent leurs manches d’une façon un peu différente. Je suis pour l’égalité réelle, donc contre toute aristocratie de la pensée politique. J’observe parfois certains de mes compagnons libertaires se gargariser d’avoir les mains pures en restant sur le rebord du monde à ressasser des textes écrits il y a 150 ans en attendant le grand soir, au lieu de continuer à marcher vers l’utopie à travers des expériences hétérodoxes, mais fertiles.

Oui, ce qui se déroule en Grèce est hétérodoxe, y compris pour les gens de gauche et les écolos qui en perdent eux aussi leur latin. A fortiori pour nous.

Mais ce qui se passe en Grèce est une ligne de front à laquelle il serait fou de manquer. Ce qui se passe en Grèce dépasse nos petites personnes et nos diverses chapelles politiques. Ce qui se passe en Grèce est une fenêtre. Une fenêtre rare dans le temps et l’espace. Une fenêtre qu’il serait dommage de manquer, car elle pourrait ouvrir sur beaucoup de choses et bouleverser les perspectives. L’opportunité de provoquer l’échec des tyrans qui dirigent l’Europe et donc de remotiver tout un continent plongé dans la résignation.

Qui te dit, Jacques, que ce qui se passe en Grèce n’ira pas plus loin, tôt ou tard ? Qui te dit que beaucoup de mes camarades et ami-e-s n’auront pas eux-mêmes le désir d’aller plus loin vers l’utopie, en avançant en si beau chemin ? Qui te dit qu’en luttant avec mes camarades et ami-e-s, je ne lutte pas aussi pour cette utopie qui nous est chère ?

Tout ce qui se passe en Grèce, dans sa grande diversité, depuis Exarcheia jusqu’à la commission pour l’audit de la dette, depuis les ZAD jusqu’au initiatives solidaires autogérées, tout ça, c’est pour moi l’un des berceaux d’un autre monde. Et ce berceau, pour rien au monde, je ne le laisserai piétiner.

Y.Y.

20 juin 2015

*Notamment : éducation anti-autoritaire, philosophie avec les enfants, livres et films sans copyright, procédés coopératifs, actions solidaires autogérées, autodéfense du quartier d’Exarcheia y compris sous des formes très radicales, soutien à mes compagnons emprisonnés, etc.


J’ajoute également ce qui suit, en guise de verbatim et de résumé :

A mes compagnons, camarades et ami-e-s, sur le besoin crucial d’utopisme et de pragmatisme, de radicalité et de bienveillance (point de vue résumé en quelques mots, pour répondre à des questions reçues en messages privés depuis hier).

PIC BY LINCOLN HARRISON / CATERS NEWS - Photographer Lincoln Harrison was really shooting for the stars with this spectacular collection of snaps. His unrivalled pictures of star trails were taken over a period of up to 15 hours in Bendigo, Australia over the scenic Lake Eppalock. Captured using a long exposure lens, the trails are created as the Earth rotates, giving the impression of the stars moving across the sky. Lincoln, 36, bought his first camera last year to take pictures of clothes he wanted to sell on eBay. SEE CATERS COPY.

Photo : LINCOLN HARRISON

MARCHER VERS L’UTOPIE, C’EST AVANCER LES PIEDS SUR TERRE ET LA TÊTE DANS LES ÉTOILES.

MOYENS : les convergences de luttes, les synergies, les débats et les projets communs.
OBSTACLES : le sectarisme, le dogmatisme, les préjugés et les logiques d’appareils.
ENJEU : avancer, autant que possible, vers l’utopie en résistant, partout, au rouleau compresseur qui nous écrase, détruit toujours plus l’humain et la Terre, ainsi qu’au fascisme, stade ultime du capitalisme, qui attend son heure en embuscade avec sa nébuleuse de complices.
CLÉ, POINT DE BASCULEMENT : sortir de la résignation en décolonisant l’imaginaire et en libérant le désir et la volonté. Pour cela, il est indispensable de concilier utopisme et pragmatisme, radicalité et bienveillance, les pieds sur terre et la tête dans les étoiles. L’un sans l’autre ne mène à rien. Les deux articulés favorisent les victoires et les avancées vers l’utopie.
RADICALITÉ : elle est cruciale, même si elle inquiète ou dérange parfois, parce qu’elle seule peut renverser nos manières de penser et d’agir. Elle vient en avançant hors des sentiers battus et de la fabrique de l’opinion, en rencontrant des idées et des expériences fortes et motivantes, en prenant conscience de nos capacités à nous organiser autrement, en regardant le monde d’une autre façon à chacun de nos pas.
UTOPIE : liberté véritable, égalité réelle, fraternité universelle.
SÉMANTIQUE : qu’on appelle ça anarchie, extrême-gauche ou révolution, peu importe : l’important, ce sont les faits. D’ailleurs, d’autres mots viendront peut-être avec le temps pour préciser ces objectifs.

Fraternellement à vous tou-te-s, camarades, compagnons et ami-e-s.