Tsipras sur les planches : le théâtre grec recommence !

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[DÉSINTOX] Hier soir, la colère a encore grondé dans les rues, à Athènes, y compris sous les fenêtres de Tsipras. Et ce n’est pas fini.

TSIPRAS ESSAIE DE NOUS REFAIRE LE COUP DE 2015, MAIS ÇA NE MARCHE PLUS

— Quoi, Yannis ? Tu n’y crois pas ?
— Ben non. Mais alors, pas du tout.
— Tu veux dire que ça te rappelle un peu juillet 2015 ?
— Même avant…

ACTE I, scène 1

En réalité, Tsipras et Varoufakis ont commencé à céder dès février 2015, cosignant en moins d’un mois le prolongement du second mémorandum sans même consulter leurs ouailles, provoquant la stupeur du vieux résistant Manolis Glézos et du très perspicace Stathis Kouvélakis qui menacent déjà de claquer la porte, vidant les caisses publiques au fil des mois en payant la dette inique rubis sur l’ongle et ne laissant que quelques miettes pour les urgences sociales, multipliant les belles promesses non tenues, usant jusqu’à la corde les discours séduisants et tragiques dans une mise en scène digne de Sophocle, employant le chantage affectif face à n’importe quel signe d’incrédulité de notre part, trainant même les pieds l’un et l’autre sur le projet, pourtant prévu de longue date, d’audit de la dette porté par Zoé Konstantopoulou et Eric Toussaint.
— Vous allez voir ce que vous allez voir, répète Tsipras.
— La bataille décisive vient seulement de commencer, surenchérit Varoufakis.
— Bon, ben d’accord, on va attendre encore un peu… mais pas trop, hein ?

ACTE I, scène 2

Finalement, mi-avril 2015, c’est sous la pression de l’aile gauche de leur parti que Tsipras et Varoufakis laissent Zoé et Eric constituer la commission pour la vérité sur la dette grecque (sans vraiment les aider, Varoufakis n’ayant même jamais signé l’appel), puis montent progressivement un peu plus à l’assaut, à partir de mai, en se partageant les rôles. Tsipras est le roi nu et Varoufakis son chevalier blanc, l’un jouant le rôle de l’assiégé faisant tout son possible depuis son Palais Maximou, et l’autre le gentil héros en croisade contre les très méchants sur sa grosse moto pétaradante, en photos partout dans la presse people et en bonne place dans les grands titres du capital, aux côtés de son épouse multimillionnaire (héritière d’une des plus grandes fortunes du textile) dans leur vie luxueuse, entre le Texas, Athènes et Égine.

ACTE I, scène 3

En juin, c’est l’apothéose. Le terrible bras de fer atteint son paroxysme sur la scène médiatique. Les projecteurs sont tournés vers la Grèce. Quelque chose d’important se prépare. On nous l’annonce. On nous promet une grande surprise. Le public retient son souffle. Le roi et son chevalier demandent solennellement l’aval du peuple pour repartir plus que jamais à la quête du Graal. Ils l’obtiennent le 5 juillet, avec un score de 62%. L’ambiance est de plus en plus bizarre. Finalement, le roi revient battu dans les jours qui suivent, le visage défait, en proclamant sur toutes les chaines :
— C’est fini et il n’y a pas d’alternative !

Trente ans après celui de Margaret Thatcher, un TINA de plus est diffusé aux quatre coins de l’Europe et du monde, distillant la résignation et la démobilisation : « There Is No Alternative ! » reprennent en cœur tous les médias mainstream.

En Grèce, dès lors, tout va très vite :
— allez hop, circulez, y a rien à voir ! Rentrez chez vous, on vous dit ! On vous le jure : on a tout essayé.

Même le preux chevalier Varoufakis s’en va au loin, sur son cheval blanc, devant les chaudes larmes des spectatrices qui espéraient un happy end en cinémascope. Mais le beau chevalier reviendra… dans dix ans. Ben ouais, Varoufakis a le projet super cool et hyper tendance de transformer l’Europe en prenant son temps, entre deux siestes, trois tartines de caviar, des bisous à Montebourg et un éloge de Macron.
— Non ?
— Si !
— Et Zoé Konstantopoulou, la présidente du parlement et de la commission qui venait justement de proposer d’annuler la dette ?
— Virée. Et tous ceux qui râlent pareil. Désormais, plus personne ne doit gêner, au parlement, l’adoption de tout ce qui va suivre.
— Et leurs alliés de la gauche européenne, ils prennent position ?
— Ils sont divisés. Désormais, seuls Iglesias, Laurent et Filoche continuent à soutenir Tsipras. Les autres prennent leurs distances ou reportent leur soutien, notamment sur Zoé ou d’autres mouvements d’opposition.

Bon, je reprends la suite de l’histoire. Plus nu que jamais, le roi décide solennellement, dans un message télévisé sponsorisé par Kleenex depuis son palais triste et lugubre, de faire don de sa personne (tel un maréchal célèbre), de se sacrifier et, soit dit en passant, de décider pour tout le monde d’obéir à tout et à n’importe quoi.
— Et les 62% de NON du référendum contre l’austérité ?
— Il s’assoie dessus. C’est TINA, un point c’est tout ! « There Is No Alternative » on t’a dit !
— Carrément ? D’un coup ?
— Ben oui, comme au théâtre, c’est la chute : boum ! Surprise ! Rideau ! Fin du premier acte.
— Et après ?

ACTE II, scène 1

Depuis plus d’un an, c’est le libéralisme le plus total, le turbocapitalisme à 24 soupapes, les privatisations par centaines, les nouvelles coupes jusqu’au sang, la casse des conquis sociaux (au devant de gens tellement stupéfaits de la provenance des coups qu’ils tardent à se rebeller), les accords militaires les plus incroyables (bisous à l’OTAN, sofa avec Israël et Tsipras qui va même jusqu’à affirmer le 17 novembre 2015 que la CIA n’aurait pas soutenu la dictature des Colonels), la multiplication des camps invivables pour les réfugiés épuisés suite à une accord scélérat avec l’Union européenne et la Turquie, l’expulsion retentissante de plusieurs squats solidaires à Thessalonique, la répression policière exactement comme avant et, bien sûr, le refus de libérer les prisonniers politiques.
— En résumé, tout ça pour rien ?
— Oui, exactement. Rien n’a vraiment changé. Sinon en pire.
— Et maintenant alors ? N’y a-t-il pas un revirement ?
— Ça dépend de ce que tu appelles revirement.

ACTE II, scène 2

Depuis des semaines, le volcan athénien se réveille à nouveau. Fin novembre 2016, les renseignements évoquent clairement des risques de troubles. Début décembre 2016, alors que la révolte gronde de plus en plus et que la stabilité politique est à nouveau en question (après 2008, 2010, 2011, 2012 et 2014), Tsipras finit par recommencer son coup de 2015 : hop ! (ou plutôt Hopa !)

Depuis son palais, le manège recommence :
— La terre tremble à nouveau ? Qu’à cela ne tienne. Je remets mon vieux costume et, hop, me revoilà !

D’abord, calmons le jeu, semons le doute, redonnons l’envie d’y croire :
– premièrement, je fais annoncer un chômage en baisse, alors qu’au contraire, le chômage de longue durée (plus d’un an), celui qui n’est pas indemnisé ni pris en compte, poursuit sa hausse vertigineuse et continue de faire d’innombrables victimes. En plus, plusieurs centaines de milliers de Grecs se sont exilés, dont une majorité de jeunes qui ne pointent donc plus en Grèce.
– je fais annoncer également des chiffres bidons sur la croissance, alors qu’ils sont dopés par la grande braderie du bien commun, les grands travaux inutiles et nuisibles, et la chute vertigineuse du coût du travail (calamités qui entrainent des investissements de la pire espèce, plus basées sur la destruction de la vie et du territoire que l’inverse).
– troisièmement, après avoir montré ma belle copie austéritaire à mes maîtres pour mon évaluation périodique, je signale discrètement la colère montante qui commence à être inquiétante et j’obtiens fort logiquement un minuscule petit geste sur la dette (ce 5 décembre) que je peux aussitôt brandir depuis les fenêtres de mon palais :
— Ouhou ! Regardez ! J’ai réussi ! On va mourir un peu moins vite !

Bon, ça ne suffit pas. La colère des retraités rejoint celle des jeunes, des chômeurs et des salariés maltraités. La marmite chauffe trop.

Qu’à cela ne tienne : alors que je suis en train de faire adopter un nouveau train de mesures d’austérité écrasantes (un milliard de taxes supplémentaires sur le café, la bière, les carburants, les bagnoles, les téléphones et surtout 5,7 milliards de nouvelles baisses des salaires et des retraites), une nouvelle grève générale éclate ce 8 décembre, et le soir-même, fidèle à mes habitudes, je joue le héros magnanime qui fait son maximum et j’offre… une petite ristourne !
— allez, c’est ma tournée ! Le dernier verre est pour moi !

Oui, vous avez bien lu : Tsipras donne d’une main ce qu’il reprend de l’autre et appelle ça « un cadeau », « une aide ». En réalité, cette ristourne sur les retraites doublée d’un report de la hausse de la TVA sur les îles de l’est égéen s’élève à seulement 617 millions d’euros, soit moins du dixième des nouvelles mesures d’austérité !

La méthode Tsipras expliquée aux enfants : je te prends dix bonbons. Comme c’est pas la première fois que je le fais et que tu n’en a presque plus, évidemment, tu te fâches. Alors, je t’en rends un seul sur les dix et je te raconte que c’est un cadeau, que c’est offert de bon cœur, que non, pas besoin de dire merci, c’est normal, tout ça, Syriza, blabla, paroles, paroles, paroles (musique maestro). Et toi, tu as l’impression d’être pris pour un abruti… et tu as parfaitement raison, bien sûr.

Pause sémantique : prime exceptionnelle grâce à un « excédent budgétaire », la blague de l’automne !

Tsipras va même jusqu’à dire que ces 617 millions généreusement offerts à la façon du Père Noël, seraient dus à son formidable « excédent budgétaire » dix fois plus important, grâce à… sa bonne gestion ! Et plein de journalistes relaient massivement cette formulation à la Pinocchio et ce faux lien de cause à effet. Car l’excédent budgétaire en question n’est rien d’autre que l’argent que Tsipras a déjà pris dans leurs poches ! Autrement dit, ce n’est pas du tout « une prime généreuse grâce à un remarquable excédent budgétaire », mais juste quelques miettes démagogiques rendues aux victimes après avoir volé leur pain. Une véritable arnaque à l’égard des retraités comme des autres martyrs des politiques austéritaires. Tsipras n’est pas du tout « généreux », au contraire : c’est un voleur, un pilleur et un criminel (vu les conséquences dramatiques), tout comme ses maîtres, ainsi que la cohorte des collaborateurs zélés et des exécutants : flics, huissiers, matons…

ACTE II, scène 3

Et voilà que le rideau se lève à nouveau, projecteurs à bloc, caméras en live, et nouveau TINA. Boum ! Les dirigeants européens disent non, tout en se chamaillant un peu, parce que bon, c’est bientôt les élections en France et il faut paraître antisystème (Sapin antisystème, comme Valls, Macron et Fillon). Puni Tsipras, au coin quelques minutes, le minuscule allègement de la dette est suspendu. TINA, on vous dit. TINA (mais bon, on finira bien par lever la punition et faire un petit geste, grands seigneurs, le moment venu, pour que les éditocrates puissent inverser les rôles et jouer les bons samaritains).

Côté gouvernement grec, c’est tout bonus aussi : Tsipras en pleine bataille appelle aussitôt à l’unité autour de lui. On croit rêver ! Les mêmes qui se tapotaient la joue depuis un an s’affirment subitement brouillés pour ramener les révoltés dans le droit chemin. La veille rengaine recommence à qui mieux-mieux, en Grèce comme en France :
— Vous voyez bien, Tsipras fait tout ce qu’il peut !
— Mais bien sûr ! Et moi, je suis la reine d’Angleterre !
— Vous êtes méchant, ce pauvre homme vit un enfer et vous n’êtes pas solidaire.

Oui, en fait, ça doit être ça : le pauvre Tsipras vit un enfer et ceux qui résistent ne sont pas solidaires.

Paroles, paroles, paroles…

Yannis Youlountas

Photos d’hier soir dans les rues d’Athènes : Marios Lolos (la pancarte dans la foule peut se traduire : « Nous ne supportons plus votre farce hypocrite, votre duplicité théâtrale… ça suffit ! »).

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