Totem du pouvoir et tabou de la violence révolutionnaire

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Je viens de rentrer d’une petite action de soutien à un groupe de réfugiés, à la fois menacés par la police grecque et par Aube dorée, et j’ai découvert certains de vos commentaires et messages suite à mon billet de ce matin : « Reprendre sa vie en mains commence par reprendre ses mains pour défendre la vie »*. Une mise en point s’avère nécessaire.

TOTEM DU POUVOIR ET TABOU DE LA VIOLENCE RÉVOLUTIONNAIRE

Tout d’abord, loin de lancer un « appel à la violence », je ne fais qu’exprimer un point de vue à propos du tabou lui-même, très répandu dans tout le mouvement social, à la fois fondé sur un conditionnement puissant et sur des présupposés tenaces. Autrement dit, je pose simplement la question du choix, de la liberté de chacun d’utiliser ou pas ce moyen de lutter parmi d’autres : la violence émeutière ou révolutionnaire en tant que légitime défense. « Reprendre ses mains » ne préjuge pas de l’usage qu’on va en faire, dans telle ou telle situation, mais signifie précisément qu’on refuse d’être privé de cette faculté a priori, qu’on n’accepte pas de se soumettre à une amputation symbolique, face à un pouvoir de plus en plus autoritaire, inégalitaire et violent, à notre égard comme à l’égard de nos congénères.

LE POING LEVÉ
Fermer le poing et le lever signifie être présent dans la lutte, être un camarade ou un compagnon prêt à se défendre et, surtout, à défendre tous les autres, face à la violence du pouvoir, à l’injustice, à l’humiliation, à la précarité et au désespoir. Ce n’est pas qu’un simple signe de reconnaissance : c’est toute l’histoire des luttes qui est résumée dans ce geste. Le poing levé signifie clairement : nous sommes là et bien là, persévérants et solidaires, et nous lutterons ensemble jusqu’au bout. Sans peur ni tabou ni regret :

QUEL APPEL ?
Je n’appelle pas non plus à la violence parce que, tout simplement, je ne me permets pas d’appeler formellement quiconque à quoi que ce soit, surtout sur un sujet aussi délicat. Je n’ai aucune envie de jouer au leader d’opinion, au philosophe médiatique, à l’éditocrate endimanché ou au bateleur de plateaux télés. Ni la notoriété ni le pouvoir ni l’argent ne m’intéressent, sinon j’accepterais les propositions de télés, les appels du pied politiques ou institutionnels et, surtout, j’arrêterais de faire des livres en copyleft et des films solidaires en creative commons. Je dis seulement ce que je pense en examinant ce tabou. Rien de plus. A chacun de juger ce qu’il a de mieux à faire.

QUELLE VIOLENCE ?
Pareillement, je n’appelle pas à la violence parce que la violence est déjà là. Loin de pacifier les rapports humains, la société actuelle génère à tous les niveaux une violence incommensurable, précisément parce qu’elle est profondément autoritaire, inégalitaire et basé sur la compétition. A l’inverse, la société que nous désirons vise la liberté véritable, l’égalité réelle et la fraternité universelle, conditions indispensables à la paix, à la concorde et à la non-violence. Mais pour atteindre ce but, il faut à la fois créer et résister, c’est-à-dire se défendre. Et la légitime défense peut parfois impliquer une violence défensive, vitale pour nous-même et pour celles et ceux qui nous entourent, jusqu’à la Terre elle-même qui se défend, elle aussi, à travers nous.

EXAMINER UN TABOU
Au vu de la gravité des circonstances, de la casse sociale à la réduction des libertés (contrôles intempestifs, surveillance illimitée, interpellations arbitraires, perquisitions massives, violences policières, achats supplémentaires de projectiles, répression tous azimuts, lourdeur des peines, tentatives d’intimidation, discours de plus en plus autoritaires et réactionnaires), il est indispensable de sonder toutes les ripostes possibles, surtout si le nombre de manifestants continue à augmenter au point d’inquiéter réellement le pouvoir. Il devient urgent d’examiner — ou plutôt de réexaminer — l’hypothèse de la violence révolutionnaire face au fléau du capitalisme qui, sous nos yeux, ne cesse de se durcir et de ravager le monde. Un fléau imposé par un totem prétendument intouchable : le pouvoir, seul autorisé à utiliser la violence, et qui a méticuleusement transformé la violence révolutionnaire en tabou, excepté pour les révolutions passées, bien sûr !

UN POUVOIR BÂTI SUR DU VENT
Sans ce tabou, le pouvoir n’est rien et il le sait. Il est bâti sur du vent, comme la monnaie, la propriété, la dette, et beaucoup d’autres moyens de coercition qui volent nos vies et justifient l’exploitation de tout ce qui nous entoure. Si ces chimères disparaissaient, le pouvoir serait aussitôt balayé en deux temps et trois mouvements. C’est pourquoi il entretient volontairement la confusion entre le terrorisme religieux le plus réactionnaire et la tentation révolutionnaire émancipatrice et raisonnée. N’est-ce pas une profonde erreur que de relayer ce tabou et cette confusion au sein du mouvement social, alors que la révolte gronde parmi les opprimés et que la pression monte sous les fenêtres du pouvoir ?

Et si nous respections un peu plus nos diverses façons de lutter (dans un sens comme dans l’autre), sans jeter systématiquement l’opprobre sur les méthodes des voisins dans la lutte, tant que le cap est le même, que personne n’impose à autrui sa façon d’agir et que l’action ne frappe en aucune manière des innocents ?

Yannis Youlountas

https://www.facebook.com/yyoulountas/posts/1585064018470886
ou http://blogyy.net/2016/04/29/reprendre-sa-vie-en-mains-commence-par-reprendre-ses-mains-pour-defendre-la-vie/